L’intelligence artificielle au service de la médecine

L’intelligence artificielle au service de la médecine

En quelques décennies, l’intelligence artificielle est venue changer notre rapport au monde. Utilisée de plus en plus dans le domaine de la santé, elle pourrait bien révolutionner l’approche de la médecine. Gros plan sur une avancée technologique qui profite à l’humain.

Non, ce n’est plus de la science-fiction : l’homme a conçu des machines capables de reproduire le raisonnement humain, de percevoir, de comprendre, d’agir et d’apprendre.

Il s’agit véritablement de créer de l’« intelligence artificielle ». Si le mot a fait son apparition lors de la conférence de Dartmouth en 1956, son développement s’est opéré progressivement avant de faire un bond considérable à partir des années 1990. En moins d’une décennie, les ordinateurs se sont mis à jouer et à gagner contre des as du poker, à traduire des textes en langues étrangères, à reconnaître des visages, à nous guider sur la route, voire à anticiper nos désirs en nous suggérant des achats adaptés à notre profil… Mais comment cela est-il possible?

« C’est tout un ensemble de techniques et de procédés sophistiqués, subtils, qui permettent à des algorithmes, à des logiciels, de fournir des réponses à des problèmes un peu complexes. »

Cédric Villani, mathématicien et député

En bref, le principe consiste à créer des processus cognitifs comparables à ceux de l’être humain et à les reproduire.

Si le procédé de conception reste compliqué pour les néophytes, l’objectif, lui, vise la simplification. Nous utilisons tous l’intelligence artificielle sans le savoir, ou tout du moins sans en avoir pris conscience.

Véritable aide au quotidien, dans de multiples tâches, l’intelligence artificielle – l’IA pour les intimes – ouvre des horizons insoupçonnés dans différents domaines d’activité. Et en particulier pour la médecine, que ce soit dans l’aide au diagnostic, la prise en charge des malades ou la recherche.

Vers un diagnostic plus fiable et plus rapide

Première étape décisive, qui conditionne le choix du traitement : le diagnostic d’une maladie.

Pour ausculter un corps, les professionnels de santé sont passés de la simple palpation aux techniques d’imagerie qui donnent un panorama précis de l’organisme. Reste à étudier ces images… Et lorsque l’on sait qu’un scanner de la tête aux pieds peut générer 1600 images en 4 secondes, il est appréciable d’avoir l’aide des algorithmes pour traiter ces radios en accéléré et sélectionner les images à voir en priorité en raison du repérage d’une pathologie urgente ou grave.

Grâce aux outils de deep learning (« apprentissage profond »), la machine est capable d’identifier les radios normales et celles qui contiennent des anomalies pathologiques. Mieux, les programmes d’intelligence artificielle gardent en mémoire l’ensemble des anomalies détectées et permettent ainsi d’être plus précis à chaque évaluation du patient.

On estime que l’IA pourrait réduire sensiblement les erreurs de jugement, améliorer la rapidité et la précision des décisions et apporter de meilleures chances de guérison.

Outre le domaine de l’imagerie médicale, l’intelligence artificielle peut devenir une aide précieuse dans l’appréhension de certaines pathologies difficiles à déceler.

Prenons comme exemple l’apnée du sommeil. Aujourd’hui, ce syndrome est déterminé par polysomnographie. Cet examen médical consiste à enregistrer, au cours du sommeil du patient, plusieurs variables physiologiques à l’aide d’électrodes posées sur le cuir chevelu.

Une pratique coûteuse, contraignante et qui doit se dérouler sur plusieurs heures, voire plusieurs jours.

Or, le projet Sensapnea, soutenu par la Fondation de l’Avenir (créée et portée par la Mutualité française), propose une solution numérique (appelée Sunrise) incluant un dispositif et une application téléphonique de diagnostic à domicile. Un capteur, appliqué sous le menton sous forme de patch, analyse les mouvements mandibulaires. Connecté à une application téléphonique, il enregistre les données (sur une ou plusieurs nuits), qui sont stockées sur un espace sécurisé. Un algorithme permet de repérer les anomalies au cours du sommeil et les transmet directement aux médecins.

Une prise en charge du patient plus suivie

Mais l’IA n’intéresse pas seulement les professionnels de santé. Des applications à destination des patients ont été créées pour une meilleure prise en charge.

Citons, par exemple, l’outil Vik, mis en place par la Mutualité française. Cet « agent conversationnel » est capable de répondre à toutes les questions des personnes qui souffrent de cancers ou de maladies chroniques, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

Un bon moyen pour lutter contre la solitude et dégonfler la boule d’angoisse.

Dans le même domaine, le service de télémédecine bucco-dentaire Lovis, développé également par la Mutualité française, permet d’effectuer un prédiagnostic des pathologies dentaires orales, de fournir des conseils d’hygiène individualisés et de répondre à une demande en situation d’urgence.

Le patient devient ainsi partie prenante de son parcours de soins. Il est plus impliqué dans la gestion de sa pathologie, notamment dans le cas de maladies chroniques.

Suivi quotidien, autoévaluation des symptômes, échanges de manière textuelle ou orale… autant d’avantages possibles grâce à l’IA.

Un booster pour la recherche

L’intelligence artificielle, appliquée à la recherche médicale, permet aussi des avancées spectaculaires en matière de santé. Allons voir du côté de la cancérologie. Les cancers dits d’origine inconnue présentent des métastases, c’est-à-dire qu’ils sont découverts lorsque la maladie s’est déjà propagée à d’autres tissus, sans qu’on ait pu identifier le premier organe touché. Ils représentent entre 2 et 3 % des cas de cancers (soit environ 7000 patients par an en France) et sont particulièrement difficiles à soigner.

L’IA va pouvoir apporter une aide précieuse dans ce domaine. L’Institut Curie y travaille depuis un moment et a mis au point un algorithme de deep learning qui va associer avec succès tel ou tel profil ARN à tel ou tel tissu et organe, cancéreux ou non.

Résultat? Dans 79 % des cas, le tissu d’origine a été identifié! Et les patients ont pu bénéficier d’un traitement plus adapté.

Une évolution à encadrer

Cette révolution technologique de l’IA peut donner le tournis et soulever certaines craintes. L’IA ne risque-t-elle pas, à terme, de remplacer le médecin?

Une étude menée par le MIT Technology Review Insights en partenariat avec GE Healthcare auprès de 900 professionnels de santé aux États-Unis et au Royaume-Uni donne des éléments de réponse à cette question : 61 % d’entre eux déclarent que l’IA leur a permis de diminuer le temps passé à remplir des dossiers et à écrire des rapports, et 45 % confirment qu’elle leur a laissé plus de temps à consacrer à leurs patients.

Reste que la vigilance s’impose pour veiller à ce que la machine ne prenne pas le pas sur le soignant. Et, plus largement, sur l’humain.

Le Fonds Avenir Santé Numérique : soutenir la Santé Numérique

Dédié à la promotion de l’innovation en santé numérique, le Fonds Avenir Santé Numérique a été fondé en 2018 par la Fondation de l’Avenir (Mutualité française), Ses missions?

  • Soutenir des projets innovants,
  • conduire des études prospectives d’intérêt général
  • initier des collaborations.

Le Fonds organise régulièrement des ateliers permettant d’échanger sur l’actualité numérique en santé et de mettre en avant les projets issus du Fonds ou développés par les partenaires adhérents.

Quelques chiffres

  • 8 Français sur 10 se déclarent prêts à être équipés d’objets connectés pour suivre leur maladie chronique
  • 161 millions c’est le nombre d’appareils de santé connectés en 2020, soit +120 % par rapport à 2016.

L’avis de …

En quoi consiste l’initiative Ethik-IA que vous avez fondée en 2017 ?

S’il est essentiel de favoriser l’innovation en matière d’intelligence artificielle, il faut poser un cadre car il existe des enjeux éthiques spécifiques liés à l’intelligence artificielle qu’il faut appréhender. Ethik IA vise à déployer des outils de régulation positive qui s’appuient sur la « garantie humaine ».

Qu’entendez-vous par « garantie humaine »?

Il s’agit de la mise en place d’une supervision humaine, opérée par un collège de professionnels de santé, de représentants de patients et du concepteur de l’algorithme. Ce principe est désormais intégré dans la loi bioéthique française et dans l’article 14 du projet européen sur l’IA. Onze démarches sont déjà opérationnelles sous la forme de collèges de garantie humaine, dont la plus avancée concerne le domaine bucco-dentaire.

Pourquoi cette supervision est-elle nécessaire? Quels sont les risques éthiques liés à l’IA?

Ils sont de deux types. Il existe tout d’abord le risque de délégation de la décision médicale et du consentement du patient. Ce n’est pas à la machine de décider mais bien au médecin. Autre risque, la dynamique des algorithmes est fondée sur une orientation de décision basée sur la loi du plus grand nombre. Or, avec ce principe, on peut aboutir à une minoration de l’intérêt de la prise en compte de la personne, d’où l’importance d’une supervision humaine. Notons au passage que cette garantie humaine s’applique à tous les domaines d’application de l’IA et pas seulement au monde de la santé.

L’IA pourrait-elle un jour remplacer le médecin?

Cette question a beaucoup interpellé les professionnels de santé, et l’étude menée par l’Institut Montaigne et publiée en 2019* rassure sur ce point. L’IA donne des outils pour améliorer la qualité de prise en charge mais ne remplace pas le soignant. Le principe de supervision mis en place dans le cadre législatif est justement là pour permettre de garder toujours l’humain au cœur du dispositif.

– David Gruson, Docteur en droit de la santé, fondateur de l’initiative Ethik-IA membre du comité
de direction de la chaire Santé de Sciences Po Paris.

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