Cancers : des avancées prometteuses

Cancers : des avancées prometteuses

Immunothérapies, thérapies ciblées, vaccins thérapeutiques : en dix ans, les traitements contre les cancers ont fait des progrès remarquables. Retour sur des innovations majeures qui suscitent de formidables espoirs !

 

Dans son édition 2023 du Panorama des cancers en France, l’Institut national du cancer1 tire la sonnette d’alarme : avec 433 136 nouveaux malades en 2023, le nombre de cas de cancer (toutes localisations confondues) a doublé entre 1990 et 2023. Ce mauvais chiffre s’explique d’une part par l’accroissement et le vieillissement de la population et d’autre part par l’augmentation du risque lié à nos comportements, notre environnement et nos modes de vie.

40 % des cancers sont liés à des facteurs de risque évitables : tabac, alcool, alimentation déséquilibrée, surpoids… Mais l’augmentation des cas masque une bonne nouvelle : une diminution globale de la mortalité grâce à des diagnostics plus précoces et aux avancées dans le traitement des cancers les plus fréquents. Les progrès réalisés ces dernières années ont ainsi augmenté la survie des patients atteints de cancers de la prostate, du sein, de cancers colorectaux ou de mélanomes cutanés. Si les pronostics restent mauvais pour les cancers du poumon ou du foie, la recherche progresse à grands pas.
Le point sur quelques-unes des innovations thérapeutiques les plus remarquables.

Thérapies ciblées

Les premières thérapies ciblées sont arrivées dans les années 2000 dans le traitement de certains cancers du sang, puis du sein. Elles sont aujourd’hui utilisées dans le traitement d’une vingtaine de cancers. Les thérapies ciblées constituent une médecine de précision personnalisée. Elles ciblent une anomalie génétique identifiée dans une cellule de la tumeur cancéreuse d’un patient. Cette cellule cancéreuse (prélevée par biopsie ou prise de sang) est analysée dans une plateforme de génétique moléculaire des cancers, qui recherche des mutations ou des expressions de gènes spécifiques.

Pour chaque type de cancer, des anomalies génétiques particulières ont été identifiées. En 2020 en France, les 28 plateformes de génétique moléculaire des cancers ont réalisé 196 000 tests déterminant l’accès à une thérapie ciblée pour 85 000 patients.

Un traitement facile à prendre

La plupart des thérapies ciblées consistent en un traitement administré par voie orale (comprimés ou sirop), en association avec la chimiothérapie conventionnelle. Cette facilité d’administration est particulièrement adaptée aux cancers pédiatriques, comme le relève le docteur Daniel Orbach, chef du service clinique d’oncologie pédiatrique, adolescents et jeunes adultes du centre Siredo2 de l’Institut Curie.

En octobre 2023, il a présenté au congrès de la Société Internationale d’Oncologie Pédiatrique (SIOP) les résultats d’une étude comparant l’efficacité d’une thérapie ciblée (le larotrectinib) à une chimiothérapie pour le traitement d’un cancer, le fibrosarcome infantile, qui affecte essentiellement les nouveau-nés et les enfants de moins de trois mois.

Sa conclusion est sans appel : « Il y a 80 % fois moins de risques de rechute et de nécessité de traitement complémentaire, comme une radiothérapie, une amputation ou un traitement de deuxième ligne, avec le larotrectinib. C’est d’autant plus intéressant que le nouveau médicament est, en plus, beaucoup plus simple à administrer que la chimiothérapie : une cuillérée de sirop donnée matin et soir à domicile par les parents aux tout-petits, contre la pose d’un cathéter central et des injections de chimiothérapie chaque semaine en hôpital de jour. »

Les résultats d’un autre essai clinique (l’étude de phase III Adaura), présenté en 2023 lors du congrès 2023 de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO), sont eux aussi spectaculaires : pour les patients porteurs de l’anomalie la plus fréquente dans le cancer du poumon (mutation de l’EGFR), le recours à une thérapie ciblée (l’osimertinib) réduit de moitié le risque de décès !

Immunothérapie

En 2018, leurs recherches sur l’immunothérapie des cancers ont valu à l’Américain James Allison et au Japonais Tasuku Honjo le prix Nobel de médecine. L’immunothérapie est un traitement qui ne vise pas directement une tumeur mais qui agit sur le système immunitaire du patient, soit pour en augmenter la réponse (immunostimulation), soit pour la diminuer (immunosuppression).

Lorsqu’il détecte une cellule cancéreuse, le système immunitaire produit des anticorps : ceux-ci détectent les antigènes spécifiques de ces cellules anormales et déclenchent une réponse adaptée. Les traitements d’immunothérapie visent à encourager cette réponse. Dans certains cas, il s’agit de déjouer les mécanismes que mettent en oeuvre les cellules cancéreuses pour ne pas être reconnues par les anticorps : certaines d’entre elles parviennent en effet à inactiver le système immunitaire. Le traitement d’immunothérapie le plus utilisé, appelé « inhibiteur de points de contrôle », consiste à empêcher les cellules tumorales de bloquer les cellules immunitaires.

Il existe aussi d’autres traitements d’immunothérapie, dits bispécifiques, qui agissent à la fois sur les cellules cancéreuses et les cellules immunitaires, pour faciliter leur rapprochement et l’efficacité de l’action des anticorps. Le traitement par immunothérapie se délivre habituellement par des perfusions intraveineuses, lors de séjours d’une à trois heures en hôpital de jour. L’immunothérapie a permis de réels progrès dans les traitements du mélanome, des cancers du poumon et du sein, ainsi que dans certains cancers pédiatriques.

Prédire avec l’IA

Aujourd’hui, de nombreux travaux de recherche portent sur la prédiction de l’efficacité d’un traitement par immunothérapie afin de mieux individualiser les traitements. Pour y parvenir, les chercheurs recourent à l’intelligence artificielle pour analyser rapidement des images médicales et en extraire des informations biologiques et cliniques. En 2018, Éric Deutsch, chef du département de radiothérapie de Gustave-Roussy, premier centre de lutte contre le cancer en Europe, publiait ses premiers résultats dans The Lancet. Depuis novembre 2022, huit hôpitaux français et quatre centres de recherche partagent un millier d’images médicales (des tomographies par émission de positons) de patients atteints de cancer du poumon, au sein du projet Federated-PET, afin d’entraîner des modèles d’intelligence artificielle.

Vaccins thérapeutiques

Depuis longtemps, des vaccins protègent des virus responsables de cancers : le vaccin contre l’hépatite B (cancer du foie) et celui contre le papillomavirus (cancers du col de l’utérus, de l’anus et de la gorge). Ces vaccins préviennent l’infection. Mais les chercheurs travaillent aussi à élaborer des vaccins thérapeutiques, destinés à soigner des cancers déjà diagnostiqués ou éviter leur récidive. Cette catégorie de vaccin est une forme d’immunothérapie : leur objectif est de mettre le système immunitaire au contact d’une mutation génétique présente dans les cellules cancéreuses afin de stimuler sa réponse. La dernière génération de ces vaccins utilise, aux côtés de vaccins à ADN, la technologie à ARN messager (ARNm) perfectionnée pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Les acides ribonucléiques messagers sont des copies de portion d’ADN qui servent à diffuser une information génétique.

En les synthétisant et en les injectant dans l’organisme, on parvient à faire produire des protéines spécifiques aux cellules du système immunitaire. La plupart de ces vaccins thérapeutiques sont en phase d’étude clinique et ne bénéficient pas encore d’autorisation de mise sur le marché.

Des résultats impressionnants

Des résultats très prometteurs ont cependant été obtenus face au cancer du pancréas ou le mélanome (où un vaccin ARNm associé à une immunothérapie réduit le risque de récidive de 44 %). Le 11 septembre 2023, le professeur Benjamin Besse, directeur de la recherche clinique de Gustave-Roussy, annonçait les résultats d’un essai clinique, mené sur des patients atteints d’un cancer de poumon à un stade avancé ou métastasé et présentant une résistance à l’immunothérapie, auxquels était administré un vaccin thérapeutique, Tedopi, développé par une société de biotechnologie nantaise : « Une diminution significative de 41 % du risque de décès a été observée, associée à un meilleur profil de tolérance et une qualité de vie maintenue », s’est-il réjoui.

Les traitements conventionnels, chimiothérapie et radiothérapie, progressent également. De nombreux tests permettent désormais de prédire leurs effets sur les patients pour ajuster les traitements et n’y recourir que lorsque leur efficacité est optimale, avec le moins d’effets indésirables possibles. Des traitements sur mesure, personnalisés pour chaque patient, sont en train de devenir la règle. Avec des résultats souvent impressionnants.

L’avis de …

« Les vaccins thérapeutiques pourraient être commercialisés dans les cinq années à venir »

En quoi les vaccins thérapeutiques diffèrent-ils des thérapies ciblées et des immunothérapies ?
Les thérapies ciblées attaquent directement une mutation de la cellule cancéreuse alors que les immunothérapies stimulent la réponse du système immunitaire. Les vaccins sont donc une forme d’immunothérapie. Les recherches sur le développement de vaccins thérapeutiques sont bien antérieures aux vaccins à ARNm, ils peuvent aussi utiliser de l’ADN ou des protéines. Le principe est bien de faire en sorte que le système immunitaire synthétise des anticorps qui vont s’attaquer aux cellules cancéreuses.

Cherche-t-on à développer des vaccins spécifiques pour chaque patient ou à trouver un vaccin « universel » ?
On sait aujourd’hui produire des vaccins capables de cibler plusieurs mutations génétiques au lieu de se focaliser sur une seule, ce qui s’était révélé peu efficace. Deux stratégies coexistent. Certains cherchent à développer un vaccin universel pour le traitement des mélanomes. D’autres cherchent le sur mesure : développer un vaccin différent pour chaque patient dont on a analysé le génome de la tumeur cancéreuse.

Sur quels types de cancer ces vaccins sont-ils efficaces ?
Ces vaccins sont destinés à tous les types de cancers. Dans les cancers du poumon, les études ont été menées sur des stades avancés, avec des métastases. Mais dans les cancers ORL, du pancréas ou encore les mélanomes, il s’agit plutôt de formes localisées. On sait que ces vaccins sont efficaces quand ils sont administrés lorsque la masse tumorale est peu importante. L’idée est bien de vacciner très tôt, en complément avec la chirurgie, la chimiothérapie, la radiothérapie, pour éviter la rechute.

Sur quoi portent les essais cliniques que vous coordonnez ?
Je travaille sur les vaccins personnalisés contre les cancers ORL. Nos premiers essais cliniques ont montré la sécurité et l’efficacité de ces vaccins sur mesure. Nous avons observé une baisse du risque de récidive pour les patients qui ont reçu le vaccin après le traitement primaire. Nous sommes en train de construire une nouvelle étude pour confirmer ce résultat.

À quel horizon peut-on espérer une autorisation de mise sur le marché des premiers vaccins contre le cancer ?
Les premiers vaccins pourraient être commercialisés dans les cinq années à venir. Si, comme le suggèrent les études en cours, le concept est efficace, avec ces vaccins thérapeutiques nous allons augmenter le nombre de guérisons des cancers en réduisant le nombre de patients qui récidivent. Comme pour toutes les stratégies thérapeutiques, ces vaccins viennent en complément des thérapies existantes. Il ne s’agit en aucun cas de venir remplacer les traitements existants, mais bien d’une arme en plus dans notre arsenal.

Professeur Christophe Le Tourneau
directeur du département d’essais cliniques précoces et d’innovation à l’Institut CURIE

 

1. https://www.e-cancer.fr
2. Siredo : Soins, innovation, recherche en oncologie de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte jeune.