Pourquoi avons-nous tant besoin les uns des autres ?
La crise sanitaire et ses restrictions sociales nous en ont fait prendre conscience plus que jamais : nous avons besoin de véritables relations humaines pour nous sentir bien ! De nombreuses études scientifiques nous confirment que nous avons beaucoup à gagner à nous sociabiliser.
On le sait, c’est lorsqu’une chose nous est refusée que nous nous rendons compte de l’importance qu’elle avait pour nous. L’isolement social prolongé imposé par la crise de la Covid-19 nous a ainsi fait prendre conscience du besoin fondamental que nous avions de manger, bavarder, travailler, faire la fête ensemble…
On pourrait presque parler de besoin vital, au même titre que notre besoin de manger ou de boire. D’ailleurs une étude récente (1) a montré que l’absence de relations sociales active les mêmes zones du cerveau que celles associées à la faim. Ce qui suggère qu’il existe en nous des mécanismes qui nous aident à maintenir le lien social, un peu comme la faim nous pousse à nous nourrir. Notre cerveau est donc littéralement « câblé » pour rencontrer les autres. Et ceci dès la naissance…
Le bébé, outillé pour les relations sociales
À la différence d’autres animaux, le petit d’Homme est entièrement dépendant de son entourage pour se nourrir, ne pas mourir de froid, être en sécurité. Le nourrisson « sent » que sa survie dépend de sa capacité à créer un lien avec la personne qui prend soin de lui. Que le parent s’éloigne et l’enfant est envahi par des sentiments de détresse. Ses pleurs lui permettent autant de décharger ses émotions que de se rappeler au bon souvenir de l’adulte dont il dépend.
Plus tard, en grandissant, l’enfant présente tous les outils nécessaires à une vie sociale riche. S’il est capable de percevoir l’état émotionnel de son entourage dès la naissance, c’est à partir de la première année qu’il témoigne de comportements altruistes (par exemple en aidant un adulte qui a fait tomber un objet) et d’une capacité à consoler l’autre (par exemple en prenant la main d’un enfant triste ou en lui tendant des jouets).
Ensemble, nous vivons mieux et plus longtemps.
L’étude d’Harvard sur le développement adulte est probablement la plus longue expérience jamais réalisée puisqu’elle a suivi des centaines d’individus pendant 75 ans. Le psychiatre qui fut à la tête de cette étude, Robert Waldinger, conclut que les bonnes relations nous rendent plus heureux et en meilleure santé. C’est-à-dire que « les connexions sociales sont très bonnes pour nous ». Ce n’est pas le nombre d’amis que nous avons ou le fait d’être ou non engagés dans une relation qui compte, mais la qualité de nos relations proches.
D’autres études avaient déjà montré l’impact des relations sociales sur la santé et notamment le fait que la solitude altère le système immunitaire. (2)
Tout est mieux quand on est au moins deux !
En France, le repas est le moment convivial par excellence. D’ailleurs, le copain n’est-il pas celui avec qui l’on « partage le pain » ? À la différence d’autres pays tels que les États-Unis, le repas pris en famille se maintient et c’est tant mieux ! Car prendre plus de trois repas par semaine dans le cercle familial réduit de 12% le risque d’obésité et de 35% celui de troubles du comportement alimentaire chez les enfants.
Les émotions, aussi, fonctionnent mieux à plusieurs ! On sait que le rire est communicatif et on aime, en général, partager son hilarité. Pour les pleurs, on a souvent tendance à s’isoler, probablement par peur du regard des autres. Pourtant, une étude sur 3000 pleurs (3) a montré que les personnes ayant reçu un soutien alors qu’elles pleuraient étaient plus nombreuses à constater une amélioration de leur humeur que les autres. Les pleurs accueillis et acceptés par une autre personne n’ont donc pas la même saveur…
On sait également que la solitude peut avoir des effets délétères sur le traitement des informations et sur la mémoire, alors que travailler à plusieurs, échanger, coopérer, influence positivement nos capacités d’apprentissage et notre créativité.
Les relations sociales au temps du coronavirus
Privés de relations sociales et plus encore de relations tactiles, il nous a bien fallu nous adapter.
Réunions en visio, apéro-Zoom, Skype… Nous avons remplacé le face à face réel par le virtuel, avec quasiment autant de plaisir. Interrogés sur leur satisfaction à l’égard des interactions avec leurs cinq meilleurs amis, les participants d’une étude (4) ont jugé la visioconférence aussi agréable que le face à face, alors qu’ils trouvaient nettement moins satisfaisants le téléphone, les textos ou les mails. Probablement parce que la visioconférence permet de conserver une partie du message non verbal qui est indispensable à la communication : la lecture des visages, des émotions.
« Pour être mentalement équilibré et heureux, il est indispensable d’entretenir de véritables relations humaines. La qualité du contact que nous entretenons avec les autres est sans doute l’un des facteurs les plus déterminants de notre bien-être ».
– La psychothérapeute britannique Margot Sunderland
Des sensations agréables
Plus de poignées de main, d’embrassades, d’accolades… Ces gestes potentiellement contaminants nous ont été brusquement interdits.
Or comme les primates qui entretiennent leurs relations grâce au « toilettage social », nous possédons des récepteurs dans le cerveau qui produisent, lors d’un contact affectueux, l’endorphine et l’ocytocine, des molécules du bien-être :
- Un câlin, un massage, une accolade, une douche chaude nous boostent en ocytocine, puissant anti-stress
- Se toucher, rire, pleurer, chanter… Ces attitudes libèrent des endorphines, molécules anti-douleurs.
En chiffres
- Nous passons jusqu’à 80% de nos heures d’éveil en présence d’autrui.
- 3h30 par jour sont consacrées à nos interactions sociales (autres que professionnelles), dont 1h30 rien que pour les cinq personnes les plus proches (famille ou meilleurs amis).
« Le confinement nous a mis dans un état de privation sensorielle »
En quoi le confinement a-t-il perturbé notre relation aux autres ?
« Le toucher et la proximité sont fondamentaux dans la relation aux autres. Or le confinement nous a mis en état de privation sensorielle.
Certaines personnes âgées isolées dans les EHPAD étaient au bord de l’effondrement, dans un état de détresse sensorielle tel que leur diagnostic vital était engagé.
Cela a été l’une des leçons du confinement : le contact, le toucher, la communication, la proximité font partie des soins.
À l’opposé de cette privation sensorielle, la perte d’intimité a provoqué des tensions familiales. »
Avons-nous tous été égaux face à cette situation ?
« Non, les plus fragiles ont été encore plus fragilisés. Les plus vulnérables, au niveau social, ont développé plus de stress, d’anxiété, de dépression.
Même chose chez les jeunes, dont on s’est aperçu un peu tard de la détresse. L’Organisation Mondiale de la Santé a également noté une charge mentale beaucoup plus forte chez les femmes. »
Que retenez-vous de cette période ?
« Nous avons traversé une psychologie de catastrophe. Tout d’un coup, l’extérieur fait peur, l’incertitude domine, notre sentiment de maîtriser le monde et notre vie s’effondre. Notre rapport à la nature change. Nous avons vécu un grand moment existentiel, une sorte de mise en thérapie mondiale.
Une fois que nous aurons géré l’impact sanitaire et l’impact économique, il nous faudra gérer les impacts humains qui durent trois à cinq ans après une crise. »
– Catherine Tourette-Turgis, titulaire de la chaire « Compétences et vulnérabilités » de l’université des Patients-Sorbonne
Sources
- (1) Tomova L et al. Acute social isolation evokes midbrain craving responses similar to hunger.
- (2) Pressman SD et al. Loneliness, social network size, and immune response to influenza vaccination incollege freshmen.
- (3) Rottenberg J et al. Is crying bénéficial ?
- (4) Vlahovic TE et al. Effects of duration and laughter on subjective happiness within different modes of communication: happiness and mode of communication.
En savoir plus
- Système de santé : les leçons de la crise du Covid-19