La viande va-t-elle rester au menu ?

Que ce soit pour des raisons économiques, par souci de l’environnement, pour des raisons de santé ou des considérations éthiques, les Français disent avoir modifié le contenu de leur assiette : moins de viande et plus de légumes. Effet de mode ou tendance durable ? Le point sur cette transformation de nos habitudes alimentaires.

 

Depuis le 1er janvier 2023, les menus de restauration collective de l’État et de ses établissements doivent systématiquement proposer une option végétarienne. Une mesure qui fait suite à celle en vigueur, depuis 2021, dans l’ensemble des cantines scolaires, privées ou publiques, de la maternelle au lycée : un menu végétarien une fois par semaine. Inscrites dans la loi Climat et Résilience ces dispositions poursuivent un double objectif : lutter contre le dérèglement climatique et améliorer les qualités nutritionnelles des repas.

Tous flexitariens ?

Elles témoignent aussi d’une évolution de la société : selon le baromètre sur la consommation de viande publié en mars 2023 par Harris Interactive pour le Réseau Action Climat, les Français sont désormais convaincus que limiter leur consommation de viande a un impact positif sur l’environnement (81 %) comme sur leur santé (77 %). Et ils changent leurs habitudes alimentaires : 57 % des personnes interrogées disent avoir réduit leur consommation de viande ces trois dernières années, tandis que 39 % souhaitent la diminuer, ce qui représente, dans les deux cas, une hausse de 9 points par rapport à 2021.

Le nombre de Français qui se déclarent flexitariens, c’est-à-dire attentifs à réduire leur consommation de viande, ne cesse d’augmenter. D’après le Kantar Worldpannel qui enquête auprès de 12 000 foyers français, aujourd’hui, près d’un foyer sur deux (49 %) compterait une personne « flexitarienne ».

FranceAgriMer, l’établissement public en charge de l’information et de la réflexion stratégique sur les filières françaises de l’agriculture et de la pêche, a demandé à l’IFOP de dresser un état des lieux des régimes végétariens et végétaliens en France1. Les résultats sont plus nuancés : seuls 2,2 % des Français interrogés déclarent avoir adopté un régime sans viande, tandis que 24 % limitent volontairement leur consommation de viande et se classent parmi les flexitariens. Un chiffre sans doute plus conforme à la réalité car la consommation de viande dans notre pays reste stable, autour de 85 kilos par an et par habitant, soit une moyenne de 200 grammes par jour.

 

Mieux se nourrir et mieux se porter © Getty Images

Moins manger, mieux se porter

Ces 200 grammes par jour sont à rapprocher des recommandations nutritionnelles de Santé publique France qui conseille de limiter sa consommation de viande (hors volaille) à 500 grammes par semaine et de ne pas excéder 150 grammes par semaine pour la charcuterie. Notre consommation moyenne de produits animaux est donc bien supérieure à nos besoins nutritionnels. Ce qui n’est pas sans risque.

L’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAe) indique que « l’excès de consommation de produits animaux entraîne un déséquilibre nutritionnel du régime alimentaire qui, s’il est chronique, peut contribuer à favoriser la survenue de surpoids et de maladies telles qu’hypertension, maladies cardiovasculaires, diabète de type 2… ». Le Centre international de recherche sur le cancer, une agence de l’OMS, a conclu, dès 2015, que la consommation excessive de viande rouge et de charcuterie augmentait les risques de cancers colorectaux.

Enfin, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) relève que les observations menées sur une cohorte de plus de 60 000 personnes (NutriNet-Santé) montrent que les 20 % de personnes consommant le plus de viande rouge (près de 100 g par jour en moyenne) voient leur risque de développer un cancer augmenter de 30 % par rapport aux 20 % qui en mangent le moins (40 g/j en moyenne). De quoi inciter à revoir à la baisse sa consommation de protéines animales…

Un geste pour la planète

Notre alimentation est responsable d’un quart de nos émissions de gaz à effet de serre, autant que le transport ou le logement. Et l’élevage est responsable de 80 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole français. Le 20 mars 2023, dans son sixième rapport d’évaluation, le Groupe international d’experts sur le climat (GIEC) alertait sur la nécessité d’adopter des régimes alimentaires moins riches en viande, sains, équilibrés et durables.

Les aliments d’origine animale présentent l’empreinte carbone la plus importante : un kilo de bœuf émet 70 fois plus de gaz à effet de serre qu’un kilo de fruits. 100 grammes de protéines de bœuf émettent 35 fois plus que 100 grammes de protéines végétales. L’impact de l’élevage industriel sur l’environnement ne se limite pas à son bilan carbone. La production massive de viande engendre aussi une surconsommation d’eau, de la déforestation, une perte de la biodiversité, la pollution des sols et des cours d’eau par les lisiers et les produits vétérinaires…

Les scénarios de transition écologique de l’ADEME tablent tous sur une réduction de la consommation de viande : -10 % pour le plus conservateur et jusqu’à une division par trois pour le plus ambitieux. Pour l’agence française, une transition alimentaire et agricole est indispensable pour atteindre nos objectifs climatiques, et les Français vont devoir progressivement végétaliser leur assiette.

 

Les fruits et légumes dans notre assiette © Getty Images

Le bien-être animal

Longtemps ignoré, le bien-être animal est désormais une préoccupation croissante. Depuis 2015, le Code civil reconnaît aux animaux le statut « d’être vivant doué de sensibilité ». L’adoption, le 30 novembre 2021, de la loi contre la maltraitance animale sanctionne davantage celle-ci, y compris dans les élevages et les abattoirs. La Commission européenne a annoncé sa volonté d’interdire l’élevage en cage d’ici à fin 2023.

La prise en compte du bien-être animal conduit des consommateurs à modifier leurs comportements alimentaires : certains s’orientent vers des filières de production de viande plus responsables comme l’élevage en plein air, d’autres renoncent totalement à la viande. Les végans associent à leur régime strictement végétalien la défense de la cause animale et refusent tous les produits issus d’animaux.

En France, lors des élections législatives, des partis antispéciste appelaient à l’abolition de la viande, à la sortie de l’élevage et à l’interdiction de la production et du commerce de tous les produits d’origine animale : miel, fourrure, cuir, plumes, laine, duvet, soie et nacre… Si la position abolitionniste reste, par sa radicalité, très marginale, la question du bien-être animal est très largement partagée.

Comme le relève l’INRAe dans un avis sur les bénéfices et les limites d’une diminution de la consommation de viande2, « l’amélioration du bien-être animal est un enjeu majeur qui doit être au cœur de la conception des systèmes d’élevage du XXIe siècle ».

Ces élevages respectueux des animaux comme de l’environnement se traduiront par une augmentation du prix de la viande mais aussi de sa qualité. Une invitation à manger mieux et moins.

Lexique :

  • Végétarien : Ce régime exclut viande et poisson, mais tolère le plus souvent les œufs et les produits laitiers.
  • Végétalien : Désigne une alimentation exclusivement d’origine végétale.
  • Végane : Bien au-delà de leur alimentation, les personnes véganes proscrivent tout produit d’origine animale. Ils n’utilisent pas de cuir ou de laine par exemple.
  • Flexitarien : Ce terme désigne une forme souple de régime végétarien, qui tolère de faibles quantités de viande, de poisson et de produits laitiers, dans l’objectif d’allier protection de la santé et de l’environnement.

L’avis d’expert …

« Être à l’écoute de soi »

« Il n’existe pas de définition stricte du régime végétarien. En théorie, celui-ci exclut la viande et le poisson, mais la moitié des Français qui se disent végétariens reconnaissent manger de la viande une fois par semaine : ils sont des flexitariens qui s’ignorent. On trouve toutes les nuances : ceux qui renoncent à la viande mais pas aux œufs, ou encore les végétariens qui continuent à manger des poissons ou des fruits de mer. Dans les faits, seuls les végétaliens et les végans renoncent totalement aux protéines animales.

Un tel choix implique de supplémenter son alimentation avec des vitamines B12 et du fer pour ne pas risquer de carence. Mais les bénéfices d’une alimentation dans laquelle on réduit fortement la consommation de viande sont bien réels : le centre international de recherche sur le cancer classe la consommation de viande rouge comme cancérogène probable pour l’homme, notamment pour les cancers digestifs. En étudiant les adventistes du septième jour, un groupe religieux américain dont l’alimentation est essentiellement ovo-lacto-végétarienne, on constate qu’un tel régime sans viande favorise la réduction de poids ou encore réduit les risques de maladie cardiovasculaire ou de diabète.

Attention toutefois : une alimentation végétarienne n’est pas pour autant une garantie de bonne santé. Il existe des aliments végétariens ultra transformés, trop gras, trop salés ou trop sucrés. Une alimentation diversifiée, riche en fibres, avec des produits de saison reste à privilégier. Enfin, nous ne sommes pas tous les mêmes mangeurs. Je pense qu’il existe des prédispositions, largement liées à la flore intestinale, au microbiote, en faveur de tel ou tel régime. Certains auront plus de facilités que d’autres à se passer de viande. Il faut savoir s’écouter et se méfier des injonctions alimentaires qui prétendent s’adresser à tous. Il n’existe pas de régime alimentaire universel. »

– Arnaud Cocaul – Médecin nutritionniste et auteur

Sources :

  1. https://www.franceagrimer.fr/Actualite/Etablissement/2021/VEGETARIENS-ET-FLEXITARIENS-EN-FRANCE-EN-2020
  2. https://www.inrae.fr/actualites/quels-sont-benefices-limitesdune-diminution-consommation-viande