Le sommeil, ce super pouvoir en danger

Alors que le sommeil constitue un pilier fondamental de notre santé physique et mentale, les Français dorment de plus en plus mal… et de moins en moins. En cause : un mode de vie hyperconnecté, le stress, la lumière des écrans et, pour les agents de la RATP, des horaires parfois décalés qui bousculent l’horloge biologique. Il est temps de remettre le sommeil au coeur des priorités de santé publique.

Se retourner dans son lit, consulter son téléphone, regarder l’heure défiler… Ce scénario familier touche une large partie de la population. Près d’un Français sur trois dort moins de six heures par nuit (ils étaient 15 % il y a 20 ans). Et 43 % déclarent souffrir de troubles du sommeil, l’insomnie en tête. Selon l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV), les Français dorment en moyenne 7 heures en semaine.

C’est trop peu : entre une et deux heures supplémentaires sont nécessaires pour un bon équilibre. En cinquante ans, nous avons même perdu 1 h 30 de sommeil par nuit. L’ampleur de la dette de sommeil est préoccupante, d’autant qu’elle passe souvent inaperçue car celles et ceux qui en souffrent ne s’en rendent pas toujours compte. Face à ce constat, le ministère de la Santé tente de la freiner avec une feuille de route lancée en juillet dernier. Vingt-cinq mesures y figurent pour faire du sommeil un enjeu de santé publique majeur. Un début, certes encore modeste, comparé aux grandes campagnes nutritionnelles comme « 5 fruits et légumes par jour ».

Carence de sommeil : un cocktail à risque

Dormir trop peu a de réelles répercussions sur la santé. Fatigue chronique, irritabilité, baisse de la vigilance en sont les premiers symptômes visibles. Mais les effets à long terme sont plus alarmants. Selon les spécialistes, enchaîner les nuits de moins de six heures double le risque de diabète de type 2, multiplie par cinq celui d’obésité et accroît le risque de maladies cardiovasculaires (hypertension, AVC, infarctus) et d’accidents de la route. Sans oublier les impacts sur la santé mentale : anxiété, dépression, troubles de l’humeur.

À l’inverse, un sommeil profond et réparateur joue un rôle essentiel : il consolide la mémoire, soutient la réparation cellulaire et régule les hormones. Le sommeil paradoxal, lui, favorise la récupération émotionnelle. En somme, bien dormir, c’est prévenir la maladie.

Pourquoi dort-on de plus en plus mal ? En grande partie à cause de notre mode de vie moderne. Plus d’un Français sur quatre réduit volontairement son temps de sommeil pour rester connecté. La plateforme Netflix l’a elle-même reconnu : son principal concurrent, c’est… le sommeil. La lumière bleue des écrans retarde l’endormissement en inhibant la sécrétion de mélatonine, l’hormone du sommeil. Les réseaux sociaux, les notifications incessantes, l’info en continu créent une surcharge mentale permanente. Cette hyperstimulation numérique, couplée à une pression de performance et un sentiment de ne jamais décrocher, conduit à sacrifier les nuits.

Autre difficulté : les conditions matérielles. Bien dormir suppose un minimum de confort, de silence et de stabilité. Les inégalités sociales pèsent aussi sur la qualité du sommeil avec des pathologies plus fréquentes dans les milieux les plus défavorisés.

La sieste, précieuse alliée du sommeil

Quand la fatigue se fait sentir, la sieste devient un véritable atout. Courte et bien placée, elle permet de recharger les batteries, d’améliorer la concentration et la vigilance, tout en apportant un regain d’énergie. L’idéal ? Une sieste de 15 à 20 minutes. Pour les travailleurs de nuit, elle devient encore plus précieuse. Même si elle ne remplace pas un vrai sommeil nocturne, elle contribue à limiter les effets de la fatigue chronique. « La microsieste est une mesure efficace pour prévenir certains risques liés au travail de nuit », rappelle l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Les experts recommandent également aux travailleurs en horaires décalés de préserver une plage de sommeil principale d’au moins cinq heures, éventuellement complétée par une sieste plus longue d’environ 1 h 30 pour une récupération optimale. Mais elle peut aussi être pratiquée par les personnes sans troubles du sommeil comme une coupure bénéfique à la mi-journée.

Travail de nuit : l’horloge biologique déréglée

Plus de 15 % des Français effectuent un travail de nuit au moins occasionnellement. Ce mode de travail n’est pas sans conséquences (et parfois insuffisamment connues des travailleurs eux-mêmes). Ceux qui ont ces rythmes dorment en moyenne une heure de moins. Soit une nuit perdue par semaine, 30 à 40 par an… Le sommeil diurne, à contre-courant de notre rythme biologique naturel, est souvent moins profond et plus fragmenté. Lumière, bruits ambiants et rythme social perturbent le repos.

Résultats : fatigue persistante, troubles métaboliques, hypertension, voire dépression. Sur la durée, les impacts peuvent devenir lourds, tant sur le plan individuel (risque d’inaptitude, isolement) que professionnel (arrêts maladie, accidents, baisse de performance). Les femmes sont plus exposées encore avec un risque de cancer du sein et de grossesses perturbées. Consciente de ces enjeux, la RATP déploie des actions concrètes à travers son service de prévention en santé au travail.

Des gestes simples pour retrouver le repos

Les troubles du sommeil ne se règlent pas toujours avec un simple changement d’habitude, mais quelques ajustements au quotidien améliorent la qualité des nuits. Il est essentiel, par exemple, d’éviter les écrans au moins une heure avant d’aller se coucher et de privilégier à la place une activité calme comme la lecture. Les excitants (café, thé, boissons énergisantes ou cigarette) sont à proscrire en fin de journée, tout comme la consommation d’alcool ou de cannabis. L’exposition à la lumière naturelle, surtout le matin, aide à réguler l’horloge biologique et à mieux synchroniser les cycles veille-sommeil. L’exercice physique régulier est également recommandé, à condition d’éviter les séances tardives qui peuvent repousser l’endormissement.

Le soir, mieux vaut opter pour un repas léger, mais il ne faut pas se coucher en ayant faim. Enfin, il est important de respecter les signaux envoyés par le corps : bâillements, paupières lourdes, sensation de fatigue… et d’aller se coucher dès qu’ils apparaissent. Maintenir des horaires de sommeil réguliers, y compris le week-end, contribue à stabiliser le rythme biologique.

Attention aux grasses matinées qui peuvent dérégler ce fragile équilibre. Bien dormir n’est pas un luxe, mais une nécessité vitale. Remettre le sommeil au coeur de notre quotidien, c’est se donner les moyens de rester en bonne santé, de préserver sa vigilance, sa mémoire, son équilibre émotionnel. Autrement dit, il est temps de développer une vraie culture du sommeil. Dans un monde où tout va vite, se reconnecter à son sommeil devient un acte de résistance et un geste de bienveillance envers soi-même.

Le réveil sonne trop tôt pour les ados !
Plus de 70 % des adolescents dorment insuffisamment. En cause, un décalage naturel du rythme biologique à la puberté : leur horloge interne les pousse à se coucher plus tard. Or, le rythme scolaire – avec des débuts de journée dès 8 heures – ne tient pas compte de ce besoin accru de sommeil. Résultat : une dette chronique d’une à deux heures par nuit, qui peut entraîner prise de poids, baisse de l’immunité, troubles de la mémoire, irritabilité et chute des performances scolaires. La santé mentale n’est pas épargnée : anxiété, dépression, voire risque suicidaire sont aggravés par le manque de sommeil. Face à ce constat, des experts plaident pour un décalage de l’heure de début des cours à 9 heures, comme l’a expérimenté la professeure de neuropsychologie Stéphanie Mazza* à Lyon avec des effets très positifs sur le bien-être des élèves.* Article du 20 mai 2025 dans Le Monde : « Cela fait trop longtemps qu’on impose un rythme de sommeil d’adulte aux adolescents », de Sidonie Davenel.

3 questions à Damien Léger

Les politiques publiques prennent-elles suffisamment en compte la question du sommeil comme enjeu de santé publique ?

Avec sa feuille de route interministérielle dédiée au sommeil, le ministère de la Santé considère le temps de sommeil comme un déterminant essentiel de santé au même titre que la nutrition et l’exercice physique. J’espère que cela va permettre plus d’informations pour le grand public. Les politiques publiques ne sont pas toujours sensibilisées au sommeil en matière d’environnement. Le bruit – transports publics, deux-roues, camions-poubelles, etc. – est la nuisance la plus perturbante pour le sommeil. La pollution lumineuse liée au suréclairage perturbe l’horloge biologique.
Enfin, le réchauffement climatique a aussi un impact sur la qualité de sommeil. La question cruciale de la somnolence au volant mériterait une meilleure politique de prévention au niveau professionnel comme au niveau du grand public.

Quels leviers permettraient d’améliorer durablement le sommeil des Français ?

À l’école, l’enjeu est de faire comprendre aux enfants et adolescents l’importance du sommeil et le plaisir de dormir. Pour apprendre à mieux dormir, des techniques de relaxation pourraient être enseignées par les professeurs. Un deuxième levier se situe au travail : les horaires devraient être réfléchis pour faciliter la récupération. Enfin, la formation des personnels médicaux et paramédicaux est à renforcer. Beaucoup ne savent pas comment répondre à une plainte de mauvais sommeil et les patients restent parfois des années sans être pris en charge.

Y a-t-il un risque de « pathologiser » le moindre trouble du sommeil ?

C’est plutôt l’inverse. À l’Hôtel-Dieu, au Centre du sommeil, nous voyons des personnes qui souffrent depuis plus de dix ans d’insomnie sans qu’aucune prise en charge ne leur ait été proposée.
Il existe en France tout un réseau de centres du sommeil (sur le site de la Société française de recherche et médecine du sommeil) qui peuvent relayer l’action des médecins généralistes et spécialistes. Si vous avez un mauvais sommeil depuis plusieurs mois, il faut en parler.

Damien Léger – Chef de service du Centre du sommeil et de la vigilance de l’Hôtel-Dieu Université de Paris-APHP,

auteur de « La France insomniaque » (Odile Jacob)