IA ET SANTÉ : des avancées majeures

Dialoguer avec un utilisateur, générer une image à la demande, nous recommander un film, un livre, un restaurant, en analysant nos habitudes : l’intelligence artificielle (IA) fait désormais partie de nos vies. Mais ses avancées les plus remarquables sont sans doute dans le domaine de la santé. Du diagnostic à la prise en charge, tour d’horizon des progrès de l’IA.

Dans la foulée du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle organisé à Paris en février 2025, le ministère de la Santé a publié un état des lieux de l’intelligence artificielle en santé en France. Ce document stratégique fait le point sur les avancées et les perspectives du déploiement de cette dernière dans notre système de santé, et constitue l’amorce d’une feuille de route nationale de l’IA en santé. Mais déjà, l’IA, qui recouvre l’ensemble des technologies utilisées par une machine afin de « reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité », contribue largement à sauver des vies, en améliorant les diagnostics et en optimisant les traitements.

Combattre le cancer

24 avril 2025 : dans un communiqué de presse, l’Inserm annonce une découverte majeure sur le glioblastome, une tumeur du cerveau fréquente et agressive qui affecte chaque année environ 3 500 personnes en France. Grâce à des techniques d’apprentissage automatique (machine learning) et à la capacité de l’IA à traiter une somme colossale de données, des chercheurs de Lille et de Strasbourg ont rassemblé les informations de 1 600 patients étudiés sur plusieurs années au travers de 16 études internationales.

Ils sont ainsi parvenus à mieux caractériser les différentes formes de cette tumeur, ouvrant la voie à une meilleure prise en charge de ce cancer et au développement de traitements plus ciblés. En oncologie, le recours à l’IA se généralise. Porté par l’Institut Curie, l’Université PSL et l’Inserm, l’Institut des Cancers des Femmes y recourt largement. « Améliorer le diagnostic des cancers du sein grâce au développement d’algorithmes de “deep learning”, identifier des biomarqueurs prédictifs et implémenter ces biomarqueurs et outils dans la pratique clinique : l’Institut des Cancers des Femmes s’engage fortement dans le développement de méthodes innovantes de détection de la rechute et dans leur mise en oeuvre clinique concrète », explique sa directrice, la professeure Anne Vincent-Salomon.

Même combat à l’institut Gustave-Roussy, à Villejuif, où la start-up parisienne Owkin a lancé un consortium, baptisé PortrAIt, afin de mettre les capacités de l’IA au service de la lutte contre le cancer : analyse d’images numérisées d’échantillons de tissus des patients, recherche de certains marqueurs dans les résultats d’analyses, prédiction du risque de récidive…

Diagnostic précoce et aide à la décision

Les cancers ne sont pas les seules pathologies à bénéficier des progrès de l’IA, loin de là : des algorithmes entraînés avec plus de 128 000 images de fond d’oeil savent désormais identifier des rétinopathies diabétiques plus rapidement et à moindre coût que les spécialistes. Au service de médecine foetale de l’hôpital Trousseau, depuis 2022, l’IA améliore la qualité des examens échographiques en offrant une assistance en temps réel aux opérateurs.

À l’institut du Cerveau, à Paris, en analysant de l’imagerie médicale, l’IA détecte les premiers signes de la maladie d’Alzheimer, avant l’apparition des premiers symptômes. Enfin, la valorisation des données de santé représente un formidable gisement pour éclairer, grâce à l’IA, les décisions des soignants et améliorer la prise en charge des patients, sous réserve de garantir la protection des données personnelles de santé. Selon une étude de l’OCDE2 de 2024, actuellement, 97 % des données de santé ne seraient pas exploitées…

L’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (APHP) a développé des outils IA pour exploiter son entrepôt de données de santé dans le respect du règlement général sur la protection des données (RGPD). Quelque 150 millions de comptes rendus médicaux et 300 000 nouveaux documents par jour sont accessibles aux médecins et chercheurs, sous une forme pseudonymisée, tandis que 18 algorithmes différents traquent les comorbidités…

Améliorer la prise en charge…

En plus d’aider au diagnostic, l’IA améliore la prise en charge des patients. En automatisant certaines tâches administratives, elle redonne aux soignants un temps qu’ils peuvent consacrer à leur pratique. L’OCDE estime que l’IA permettrait d’automatiser jusqu’à 36 % de l’activité des services de santé. À Valenciennes, le Centre hospitalier a développé, avec la société Saniia, un outil de prédiction des flux aux urgences, qui renseigne les visiteurs sur l’affluence et permet d’ajuster l’offre de soins à la demande.

En février 2025, le gouvernement a annoncé 119 millions d’euros d’investissement sur cinq ans pour former 500 000 soignants à l’utilisation de l’IA, afin d’améliorer la prise en charge des patients. Le projet « PARTAGES », porté par le Health Data Hub, la plateforme de données de santé française, mobilise une vingtaine d’hôpitaux et une dizaine d’équipes de recherche.

Son objectif ? Mettre les grands modèles de langage de l’IA générative au service des professionnels de santé, afin, là encore, de leur faire gagner un temps médical précieux.

… et les traitements

L’IA améliore aussi les traitements. Elle accélère les processus de fabrication des médicaments, elle aide à déterminer les dosages optimaux, tandis que des jumeaux numériques d’organes permettent de simuler des essais.

Ainsi, en avril 2025, une équipe de chercheuses et chercheurs de l’Inserm, du CNRS et d’Aix-Marseille Université est parvenue à créer un cerveau de souris virtuel. Ce modèle informatique intègre des données d’imagerie (IRM) et permet de visualiser l’impact d’interventions chirurgicales ou de lésions sur l’activité cérébrale globale. Une piste prometteuse pour affiner les protocoles de stimulation cérébrale profonde utilisés par exemple pour traiter la maladie de Parkinson ou la dépression.

Enfin, en mai 2025, Insilico Medicine, une société de biotechnologie américaine, annonçait une première mondiale : le développement d’un médicament contre la fibrose pulmonaire idiopathique (FPI), une maladie dégénérative mortelle contre laquelle il n’existait aucun traitement curatif. Grâce à un médicament entièrement conçu par une IA, les 71 patients inclus dans un essai clinique de phase II ont vu s’améliorer leurs fonctions pulmonaires ! Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs ont demandé à l’IA de créer une nouvelle molécule, avec une cible précise, repérée en analysant les profils génétiques de patients malades. Le Rentosertib est ainsi le premier médicament dont la cible biologique et le composé thérapeutique ont été découverts par une IA générative.

MUTUELLES IMPACT : FINANCER UNE IA DE CONFIANCE EN SANTÉ

64 mutuelles, dont le Groupe Mutualiste RATP, ont constitué un fonds d’investissement de 95 millions d’euros pour soutenir les entreprises à fort impact social et environnemental du secteur de la santé, de la prévention et du médico-social. Parmi les entreprises bénéficiaires de ce fonds, Ethik-IA, qui accompagne les concepteurs et utilisateurs d’IA utilisées en santé dans une démarche éthique en créant des méthodologies de supervision humaine adaptées, simples d’utilisation et protectrices.

Vers des IA thérapeutiques ?

Owlie la chouette ou Wysa le pingouin sont des chatbots, des agents conversationnels intégrés dans des applications ou disponibles en ligne, qui proposent des conseils automatisés en santé mentale, voire des séances de thérapies cognitives et comportementales. Un psychothérapeute virtuel dans son téléphone, disponible 24 heures sur 24. Une telle utilisation de l’IA n’est pas sans risque !

Est-il raisonnable de confier sa santé à un algorithme ? À l’occasion du sommet de Paris sur l’IA, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et les autorités de protection des données de Corée du Sud, d’Australie, du Royaume-Uni et d’Irlande ont signé une déclaration commune pour mettre en garde contre les risques relatifs à la protection des données personnelles et de la vie privée, aux discriminations et biais algorithmiques, ou encore à la désinformation et aux hallucinations de l’IA.

Des enjeux éthiques

Les questions éthiques sont nombreuses. L’IA Act, la réglementation européenne sur l’IA adoptée en mars 2024 et applicable à partir du 2 août 2026, veille à ce que les systèmes d’IA mis sur le marché soient sûrs et respectueux des droits fondamentaux. La réglementation promeut l’adoption d’une IA axée sur l’humain et digne de confiance : elle reprend le principe d’une « garantie humaine » défendu depuis 2017 par Ethik-IA (voir encadré) : s’assurer d’une supervision humaine en amont et en aval de l’algorithme et y associer concepteurs, professionnels et représentants des usagers. En clair : une IA au service des professionnels de santé. Pas à la place.

3 questions à Xavier Tannier

Quels sont les derniers progrès apportés par l’IA dans le domaine de la santé ?

Dans le domaine de la santé, la phase de validation pour la mise en place d’une nouvelle méthode ou d’une nouvelle technologie est plus importante que dans les autres domaines. Mais on commence à voir des effets de l’IA dans les soins médicaux. Les progrès les plus marquants de ces dernières années concernent l’analyse d’images. L’IA est devenue un outil d’aide à la décision pour les praticiens de première ligne et pour tous les types d’imagerie médicale. Le traitement des informations contenues dans les entrepôts de données de santé des hôpitaux fait aussi progresser l’épidémiologie en permettant des études sur des grandes cohortes de patients. Mais l’hétérogénéité des données comme les nécessaires contraintes réglementaires limitent encore cet usage. Enfin, l’IA fait aussi progresser l’élaboration de médicaments. Des modèles informatiques permettent, par exemple, de simuler et de tester une quantité industrielle de combinaisons de molécules. Récemment, aux États-Unis, un patient atteint d’une maladie sanguine rare a été traité grâce à un repositionnement de médicaments proposé par une IA. Il faut rester prudent devant ce cas unique, mais le fait est que l’IA permet d’explorer un nombre immense de possibilités.

Quelles sont les innovations à venir ?

Beaucoup de chercheurs travaillent sur des jumeaux numériques d’organes, sur lesquels on pourrait expérimenter des traitements. Il reste quelques années de tests et d’essais cliniques avant de pouvoir en disposer. Les modèles de langages multimodaux progressent également, ils sont déjà en mesure de rédiger une description d’imagerie. Mais les principales innovations seront celles qui faciliteront le quotidien des médecins, comme effectuer à leur place les tâches administratives ou prérédiger leurs comptes rendus de consultation. L’IA va continuer d’aider les médecins à s’occuper des patients, mais je me méfie des scénarios où le patient s’adresserait directement à une IA pour sa santé. Cela paraît peu souhaitable.

Quelles sont les limites de l’IA en santé ?

Elles sont à la fois d’ordre éthique, économique et environnemental. Il faut veiller à ce que la place de l’humain soit conservée. L’accès à l’IA est aussi une source d’aggravation de la fracture numérique entre les pays, entre le Nord et le Sud. L’impact environnemental de l’IA ne doit pas être négligé au motif qu’elle sert la santé : une santé efficace est aussi une santé qui tient compte des ressources. Enfin, les enjeux de souveraineté, de sécurité et de protection des données de santé impliquent un coût élevé, avec par exemple l’hébergement des ressources de calcul dans les entrepôts de données, pour éviter la circulation des données.

 

Xavier Tannier
Directeur du Laboratoire d’informatique médicale et ingénierie des connaissances pour la e-santé (LIMICS), commun à l’Inserm, à Sorbonne Université et à l’Université Sorbonne Paris-Nord