Addictions : où en sont les Français ?

Si les fêtes de fin d’année riment parfois avec excès, elles sont également l’occasion de s’interroger sur sa consommation de produits addictifs au cours de l’année écoulée. Alcool, tabac, substances illicites… Comment les Français agissent-ils face aux addictions ? Décryptage.

Lorsqu’il s’agit de consommer de l’alcool, les Français sont en train de changer d’habitudes. C’est ce qui ressort de la dernière enquête Baromètre Santé Publique France qui dresse le panorama d’une France qui boit – beaucoup – moins souvent. La part d’adultes qui consomme de l’alcool tous les jours a été divisée par trois en 30 ans, passant de 23,9 % en 1992, à 8 % en 2021.
Peut-on conclure que la population a désormais un rapport apaisé avec les produits addictifs ? Pas exactement.

De nouvelles habitudes

Même si elle a diminué, la consommation d’alcool reste élevée en France : elle est de 12,2 litres d’alcool pur consommé en moyenne par adulte et par an, ce qui équivaut à 190 litres de bière ou 24 litres de spiritueux. Un total qui place l’Hexagone largement au delà de la moyenne européenne (9,5 litres d’alcool pur). D’autant que la moindre fréquence des verres alcoolisés avalés est surtout l’apanage des jeunes : les 18-24 ans déclarent boire en moyenne 64 jours par an contre 123 jours pour les 65-75 ans. Mais lorsqu’ils boivent, les plus jeunes consomment en moyenne deux fois plus de verres que leurs aînés et sont adeptes de l’alcoolisation ponctuelle importante, également appelée binge drinking.

Binge Drinking, de quoi parle -t-on ?
Le binge drinking, ou « alcoolisation ponctuelle importante » consiste à consommer rapidement et en groupe au moins six verres d’alcool avec une recherche d’ivresse. Une pratique particulièrement répandue chez les jeunes : selon une enquête, 44 % des adolescents de 17 ans y ont pris part au cours du mois écoulé ! S’il expose à des risques immédiats (coma éthylique, accidents, violences ) le binge drinking peut aussi provoquer des troubles cognitifs et psychiatriques sur le long terme, d’autant plus en cas d’initiation précoce.

S’ils boivent moins, les Français recourent toujours massivement à d’autres produits addictifs. Le tabac reste ainsi la première substance psychoactive consommée en France avec 24,5 % de fumeurs quotidiens. Un chiffre en baisse constante, contrairement à celui des consommateurs de substances illégales. Désormais, plus d’un Français sur deux a expérimenté le cannabis au moins une fois dans sa vie et 10 % de la population en a consommé durant l’année. La popularité de cette drogue reste stable quand celle des stimulants (cocaïne, MDMA) connaît une forte augmentation depuis 2017. Parce qu’il est de plus en plus simple d’y avoir accès, notamment via les réseaux sociaux, près de 1 Français sur 10 a déjà consommé de la cocaïne et 1 sur 12 de la MDMA (ecstasy). À ces drogues bien connues s’ajoutent de nouvelles, comme l’usage détourné du protoxyde d’azote (aussi appelé « proto » ou « gaz hilarant ») et qui touche particulièrement les lycéens et étudiants. L’Agence Régionale de Santé Île-de-France évoque ainsi un gaz au « potentiel d’abus et de dépendance avéré mais largement sous-estimé ».

Comment devient-on accro ?

La dépendance n’est pas seulement réservée à des substances comme l’héroïne et de nombreux produits ont leur propre potentiel addictif, du carré de chocolat à l’alcool en passant par certains médicaments. La prise de chaque produit addictif active un circuit cérébral dit « de récompense » qui comprend des neurones responsables de la production de la dopamine. Dans des conditions normales, une action positive ou plaisante pour l’organisme enclenche une sécrétion accrue de dopamine dans le cerveau, ce qui se traduit par une sensation de plaisir. Mais la consommation de certaines substances fait augmenter artificiellement la production de dopamine au-delà de la normale.

Pour retrouver cette sensation agréable, le consommateur est alors incité à renouveler l’expérience de plus en plus souvent et en plus grandes quantités. « Le cerveau s’habitue à la ressource extérieure qu’on lui apporte mais il cherche également à s’en protéger pour ne pas subir ses effets de façon trop intense. Pour cela, il neutralise certains neurorécepteurs, détaille Stéphanie Ladel, addictologue au sein de Cabinet Social. À cause de cela, le cerveau ne produira plus assez de ses propres neurotransmetteurs du plaisir et les petits plaisirs de la vie passeront inaperçus : seuls subsisteront ceux liés à la substance. La personne dépendante passera d’un plaisir et d’un bien-être apporté par le produit à une nécessité d’y recourir pour éviter le mal-être. Il s’agit là d’un phénomène neurobiologique qui se joue à notre insu et sans qu’on en maîtrise vraiment les mécanismes. C’est pour cela qu’il est difficile de s’en sortir tout seul. »

Inégaux face aux addictions

Comme l’explique l’addictologue, de nombreux facteurs entrent en jeu dans le développement d’une addiction : certaines personnes naissent avec une prédisposition génétique qui les rend plus sensibles aux effets des substances addictives et donc plus vulnérables. D’autres vivent dans un environnement familial précaire ou avec un entourage consommateur ce qui peut favoriser une première consommation plus tôt et conduire à l’apparition d’une addiction.

En effet, une initiation à l’alcool avant 15 ans multiplie par deux le risque de devenir alcoolodépendant par rapport à une initiation vers la fin de l’adolescence (18-20 ans), rapporte l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. Ses experts soulignent également que le cerveau adolescent est plus vulnérable que celui de l’adulte et que, quel que soit le produit, la précocité de l’expérimentation accroît les risques de dépendances ultérieures mais également les dommages faits à un cerveau en pleine transition vers l’âge adulte. « Globalement, face aux addictions, c’est vous et votre chance dans la vie, appuie Stéphanie Ladel. Vous pouvez avoir des vulnérabilités et des protections plus fortes que d’autres mais il ne faut pas les présumer car on ne les connait pas bien. »

La montée en puissance de la prévention

D’où l’importance de la prévention et d’un accès à l’information autour du sujet. C’est pourquoi les actions de sensibilisation se multiplient lors des périodes propices aux consommations de substances psychoactives comme les fêtes de fin d’année ou la rentrée étudiante. Tout en rappelant les risques et plutôt que de diaboliser la consommation, les bonnes pratiques y sont rappelées : manger avant de boire, empêcher des gens qui ont trop bu de rentrer en voiture, boire régulièrement de l’eau, ne pas boire lorsqu’on est enceinte…

Depuis plusieurs années, on voit également émerger de nouvelles tendances portées par les réseaux sociaux qui poussent à réduire sa consommation d’alcool. Le cas le plus emblématique est celui du #DryJanuary (ou janvier sobre) lancé au Royaume-Uni et qui consiste en un défi : ne pas boire d’alcool lors du premier mois de l’année. On estime que 5 millions de Français s’y sont essayés récemment !

Médecins, psychologues et pharmaciens en première ligne

Si ces campagnes de sensibilisation visent à prévenir les cas d’addiction et à faire prendre conscience d’une éventuelle dépendance lorsque celle-ci s’installe, on peut vite se sentir désemparé. Par où commencer ? Le secteur libéral (médecin généraliste, psychologue et psychiatre, pharmacien) est en première ligne et joue un rôle central dans le repérage et l’accompagnement des patients.

Ces derniers peuvent ensuite (ou en premier lieu) se tourner vers un réseau de structures et de professionnels permettant une prise en charge adaptée à chaque situation. Les Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) ont des équipes pluridisciplinaires (médecins, psychologues, infirmiers, professionnels socio-éducatifs) et proposent des services gratuits et anonymes, allant de la prévention à la prise en charge médicale et psychologique, principalement en ambulatoire, mais aussi en résidences thérapeutiques.

Pour les jeunes, 540 lieux répartis à travers la France permettent de consulter des professionnels, seul ou accompagné de ses parents ou d’un proche. Ces consultations jeunes consommateurs (CJC) permettent d’aborder tous les comportements addictifs, qu’il s’agisse d’alcool, de cannabis, de l’usage des jeux vidéo ou des réseaux sociaux.

De l’hospitalisation aux associations de patients : la diversité des solutions

Le secteur hospitalier complète cette offre et propose aussi bien des consultations d’addictologie que de l’hospitalisation de jour ou de l’hospitalisation complète. Cette dernière peut être utilisée pour permettre le sevrage, pour une évaluation ou pour la prise en charge de complications. En complément de ces solutions, il existe de nombreuses associations d’usagers qui se basent sur l’expérience de leurs membres, leur connaissance de l’addiction et des structures de soin. Elles proposent des groupes de paroles ainsi que du soutien sur des horaires où la plupart des structures traditionnelles sont fermées.

Quelle que soit la prise en charge choisie par le consommateur, celle-ci se fera à travers une philosophie commune : celle du non-jugement, qui permet à chaque personne dépendante de faire un premier pas vers la fin de son addiction.

Sortir de la dépendance avec Amitié Présence

Vous avez besoin d’aide au sujet d’une addiction ?
L’association Amitié Présence accompagne, sensibilise et prodigue des soins et conseils en addictologie à tout salarié ou retraité du groupe RATP. Hommes et femmes de tout âge peuvent venir consulter pour des problématiques de dépendance liée à l’alcool, au tabac, au cannabis ou au jeu. Les échanges sont anonymes et gratuits. Amitié Présence travaille avec un médecin addictologue, un psychologue, une sophrologue et une hypnothérapeute, en lien étroit avec la médecine du travail, les assistants sociaux et l’espace santé de la RATP.

3 questions à Stéphanie Ladel

« L’addiction ne dépend pas de la volonté de la personne »

Qu’est-ce qui peut expliquer une addiction ?

L’addiction ne se met pas à exister du jour au lendemain. Elle repose sur la rencontre entre trois composantes : le produit, l’environnement et  l’individu. Chaque produit aura son propre potentiel addictif : le sucre ou la cocaïne ont un facteur addictif bien plus élevé qu’un brocoli par exemple. Ensuite, on trouve l’environnement de la personne qui sera plus ou moins protecteur : un contexte de vie difficile, un entourage qui consomme, la facilité d’accès au produit, etc. Enfin, il y a les vulnérabilités individuelles de la personne : ses prédispositions génétiques, sa santé mentale… Statistiquement, on est plus confronté aux phénomènes addictifs lorsqu’on a des troubles psychiques. L’addiction est donc un phénomène complexe qui ne dépend pas de la volonté de la personne.

Que sont les principaux freins à la consultation pour les personnes confrontées à une addiction ?

Très souvent, quand les gens sont confrontés à l’addiction, ils ne comprennent pas bien ce qui leur arrive. Ils se sentent incapables, faibles, ils sont persuadés d’avoir un problème personnel et d’être les seuls à ne pas pouvoir se contrôler. Alors qu’en réalité, l’addiction correspond à un phénomène physiologique, qui s’explique très bien scientifiquement ! Il faut parfois du temps pour que les gens accèdent à de l’information autour de l’addiction, via un article, une vidéo ou une discussion. Et même lorsque les gens commencent à mieux comprendre l’addiction, ce sujet reste honteux. Certaines personnes ont peur d’être jugées et exposées au regard des autres et c’est d’autant plus gênant pour elles lorsque leur addiction concerne des substances illégales. C’est ce qui m’a poussée à proposer des consultations par visioconférence ou téléphone car c’est plus confortable pour beaucoup de personnes qui souhaitent garder l’anonymat. Sans cela, elles ne consulteraient pas.

Comment peut-on agir concrètement pour surmonter une addiction ?

Si l’on craint d’être pris dans une addiction, on peut commencer par s’autovérifier. Il faut se demander : « Est-ce que je n’arrive pas à me contrôler face à cette substance, malgré des conséquences que je vois comme négatives ? » Si la réponse est oui, cela vaut le coup de se faire aider. Car multiplier les expériences d’échec pour tenter d’arrêter tout seul abîme l’estime de soi et ne nous fait pas trouver la solution. On peut commencer par chercher un coup de main auprès d’une personne qu’on connaît déjà : son médecin généraliste, un proche auquel on ose en parler, quelqu’un qui a su trouver sa porte de sortie pour un problème similaire… Si ça ne suffit pas ou que cela ne nous convient pas, on peut se tourner vers un addictologue professionnel formé sur les bancs de la faculté de médecine. Dans tous les cas, il faut garder en tête que la recette toute faite n’existe pas sinon on l’aurait déjà trouvée. C’est pourquoi la solution pour chacun diffère.

Stéphanie Ladel – Addictologue et préventologue au sein de Cabinet Social.

 

Bon à savoir !

Détecter les signes de l’addiction Selon l’OMS, la dépendance est caractérisée si au moins trois critères se manifestent parmi : le désir puissant ou compulsif d’utiliser une substance psychoactive, des difficultés à contrôler l’utilisation de la substance, un syndrome de sevrage physiologique en diminuant ou arrêtant, une tolérance aux effets de la substance, l’abandon progressif d’autres sources de plaisir au profit de l’utilisation de la substance, la poursuite de sa consommation malgré des conséquences manifestement nocives.