Dérèglement climatique : demain, tous allergiques ?
Depuis 20 ans, la fréquence et la gravité des allergies sont en constante augmentation dans les pays industrialisés. La hausse des températures et la présence de polluants chimiques dans l’atmosphère augmentent la production de pollen et démultiplient leur potentiel allergisant. Décryptage.
En France, près d’un adulte sur trois souffrirait d’une allergie au pollen, selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Nez qui coule, éternuements en série, yeux et gorge qui grattent, démangeaisons cutanées…
En 2024, les symptômes de l’allergie au pollen ont fait leur grand retour dès février. Le 14 du mois, 74 départements étaient placés en vigilance rouge aux allergies aux pollens par le Réseau national de surveillance aérobiologique (RNSA). Les températures clémentes ont fait bourgeonner plus tôt qu’à l’accoutumée certaines espèces d’arbres.
C’est le cas du cyprès, du frêne, du noisetier et de l’aulne, dont les pollens sont reconnus comme très allergisants. Pour se reproduire, ces plantes dites « anémophiles » produisent et libèrent de grandes quantités de pollen dans l’atmosphère. Un pollen fin et léger qui est ensuite transporté au gré du vent, vers les fleurs femelles. C’est le phénomène de la pollinisation. Ce pollen voyageur contient des protéines identifiées par le système immunitaire comme étant des allergènes. Des allergènes susceptibles de déclencher une réaction allergique chez les sujets sensibilisés, avec son lot de symptômes incommodants au quotidien. Mais qu’est-ce qu’une allergie ?
Le mécanisme de l’allergie
L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) définit l’allergie comme « un dérèglement du système immunitaire qui correspond à une perte de tolérance vis-à-vis de substances a priori inoffensives : les allergènes.» En d’autres termes, l’allergie correspond à une hypersensibilité de l’organisme à des substances généralement bénignes et présentes dans l’environnement (air, alimentation ou médicaments).
Chez un sujet allergique, les défenses immunitaires surréagissent à chaque nouvelle exposition à cet ennemi pour se protéger. Le corps produit alors des anticorps ciblés – les immunoblogines (IgE) – contre l’allergène en question. C’est ce qui provoque la réaction inflammatoire et les symptômes habituels de l’allergie. Deux conditions sont nécessaires pour qu’une allergie apparaisse : une prédisposition génétique et un contact avec la substance allergène.
Ces dernières décennies, notre environnement s’est dégradé sous l’effet de la pollution atmosphérique. Notre exposition à certaines substances allergènes a beaucoup évolué. Et le constat est alarmant : le nombre de personnes touchées par des allergies au pollen aurait quasiment doublé. Alors, comment expliquer cette augmentation des allergies ?
Une concentration de polluants dans l’atmosphère
Un ensemble de gaz et de particules sont en suspension dans l’air que nous respirons. Parmi les polluants, il y a les suies de combustion et de freinage issues du trafic routier, maritime ou ferroviaire. Ces particules peuvent aussi être d’origine industrielle ou liées à l’activité humaine (agriculture, construction). Il existe aussi des particules dites « naturelles », comme les embruns marins, et des polluants gazeux, comme l’ozone et le dioxyde d’azote qui sont des irritants respiratoires.
Cette pollution atmosphérique déforme et fracture la paroi des grains de pollens. Devenus plus petits, ces grains pénètrent plus profondément dans les voies respiratoires. Certains polluants chimiques peuvent aussi se fixer sur les pollens et les rendre plus allergisants. En ville comme en milieu rural, cette pollution invisible fragilise les muqueuses et affaiblit le système immunitaire. Et les personnes vulnérables vont réagir davantage en période de pics de pollution.
Le changement climatique facteur d’aggravation
Le dérèglement climatique fait partie des causes avancées par les scientifiques pour expliquer une telle explosion des allergies. La hausse des températures trouble le cycle de vie des végétaux. Elle stimule la croissance des plantes, ce qui accroît les quantités de pollen émises, mais aussi les quantités d’allergènes qu’ils transportent. « Depuis quelques décennies, la date de début de pollinisation de nombreuses espèces végétales tend à devenir plus précoce, de quelques jours à plus d’une quinzaine de jours, ce qui a pour conséquence d’allonger la durée de la pollinisation», décrit l’Anses dans un rapport d’expertise publié en janvier 2014.
Si la saison pollinique du cyprès, du frêne ou du bouleau s’allonge, sa date de fin elle, reste globalement la même. Résultat : l’exposition aux allergènes de pollen dure plus longtemps et le taux de sensibilisation augmente. Ce phénomène ne s’observe pas chez toutes les espèces. En effet, certaines plantes nécessitent d’être exposées à une période de refroidissement, et les hivers de plus en plus doux peuvent retarder leur réveil au printemps.
Une chose est sûre : ces conditions plus chaudes et la forte concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère dopent la production de pollens. Depuis le début de la période industrielle, le CO2 atmosphérique est passé de 280 ppm à 400 ppm. Sa concentration a augmenté de plus de 42 % en 170 ans !
Plusieurs études ont démontré que cette concentration accrue de CO2 était susceptible d’augmenter de façon significative la production de pollen en favorisant la croissance des plantes. Deuxième conséquence : le CO2 rendrait le pollen plus allergisant. « Il a été observé que la quantité d’allergènes dans les grains de bouleau et d’ambroisie augmentait avec la température », explique l’Anses.
Dans ces conditions, le nombre de sujets sensibilisés explose. Le changement climatique influence également la répartition géographique des végétaux. L’exemple souvent cité est celui de l’ambroisie à feuilles d’armoise. Très présente dans la vallée du Rhône, cette plante invasive ne cesse de se propager sur tout le territoire depuis les années 1960. Ses pollens ont un pouvoir allergique très élevé.
En 2020, l’Anses a estimé qu’entre 1 115 000 et 3 504 000 personnes y seraient allergiques en France métropolitaine. « Dans 50 % des cas, l’allergie à l’ambroisie peut entraîner l’apparition de l’asthme ou provoquer son aggravation », signale l’Agence régionale de santé. À l’avenir, cet envahisseur risque de migrer vers le nord pour trouver des conditions plus favorables de croissance. Selon les scientifiques, les concentrations de pollen d’ambroisie pourraient être multipliées par quatre en Europe, d’ici à 2050.
Les prévisions climatiques laissent présager une courbe ascendante pour les allergies. Les simulations du RNSA sont sans appel : « Les effets du changement climatique sur les pollens vont se poursuivre et s’amplifier dans le futur. » Selon les projections du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le taux de CO2 dans l’atmosphère pourrait atteindre les 800 ppm, et le réchauffement climatique dépasser les 2 degrés, en 2050. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) tire déjà la sonnette d’alarme : selon ses estimations, la moitié de la population mondiale sera allergique.
Les bons gestes à adopter pour limiter les allergies
- Chez soi : se rincer les cheveux en fin de journée, aérer son logement avant le lever et après le coucher du soleil.
- En extérieur : éviter de faire sécher son linge dehors. Lors de pics de dispersion de pollens, privilégier la fin de journée pour faire du sport ou entretenir son jardin. Le port de lunettes ou d’un masque est recommandé pour protéger ses muqueuses. Lors des déplacements, garder les vitres de la voiture fermées.
L’avis de Marie Choël
« Lorsqu’il est transporté dans l’atmosphère, le grain de pollen subit des altérations d’un point de vue physique, chimique et biologique. En milieu urbain, d’autres particules en suspension peuvent le contaminer, en s’agrégeant à sa surface. Le grain de pollen est l’une des particules les plus grosses en suspension dans l’air (20 à 60 micromètres de diamètre). De par sa taille, il est normalement piégé dans les voies aériennes supérieures, le nez ou le fond de la gorge. C’est ce qui déclenche les symptômes de l’allergie chez les personnes sensibilisées. Il peut aussi se déposer au niveau des yeux et provoquer des conjonctivites.
Toutefois, les allergènes sont également présents à l’intérieur du grain. Si le grain vient à se fracturer, tous les allergènes sont libérés dans l’air, dans des particules suffisamment petites pour pénétrer plus en profondeur dans les bronches. Ces particules sont des déclencheurs potentiels de l’asthme allergique. Avec les phénomènes climatiques extrêmes, de nouvelles maladies émergent, comme « l’asthme d’orage ». Les orages se déroulent souvent en été à la saison des graminées allergisantes. Pendant un orage, de grandes quantités de grains de pollen sont dispersées dans l’air et éclatent, sous l’effet de la pluie et des rafales de vent. Ils libèrent alors de fines particules portant des allergènes. Les charges électriques dans l’air pourraient aussi fragiliser la paroi des grains.
Cette combinaison de phénomènes météorologiques concourt à une augmentation des crises d’asthme chez des personnes qui, la plupart du temps, ne se savaient pas allergiques avant la survenue d’un violent orage. Ces patients arrivent aux urgences en détresse respiratoire. L’asthme d’orage a déjà fait beaucoup de victimes en Australie, au Royaume-Uni, en Amérique du Nord et au Moyen-Orient. Deux épisodes se sont produits à Nantes, en juin 2013 et à Paris, en juin 2023. La fréquence, la durée et l’intensité des épisodes orageux sont un effet du changement climatique. Nous devons nous attendre à un risque d’asthme d’orage accru dans les années à venir. »
Marie Choël – maître de conférences à l’université de Lille – Physico-chimiste de l’atmosphère, administratrice du RNSA
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