Accès à la santé : sommes-nous tous égaux ?
En quelques décennies, les déserts médicaux se sont multipliés en France, entravant l’accès aux soins de première nécessité pour des millions de Français. Zoom sur ce phénomène qui inquiète.
En mars 2022, deux jeunes femmes enceintes témoignaient dans France 3 Normandie de leur crainte d’accoucher dans la voiture.
Leur maternité, à Bernay dans l’Eure, a fermé en mars 2019. Le Centre Gynécologique et Périnatal de Proximité, où est suivi leur grossesse ne permet pas de mettre au monde leur enfant. Pour accoucher, les deux jeunes femmes devront se rendre à l’hôpital de Lisieux à 30 minutes de route.
Ce type de situation est loin d’être un cas isolé. Durant ces vingt dernières années, sur les 717 maternités de France, 221 ont fermé. Désormais, 900 000 femmes résident à plus d’une demi heure de route de ces établissements, selon une récente étude de la Drees, le service d’études et de statistiques du ministère de la Santé.
La difficulté d’accès aux soins ne concerne pas uniquement les femmes enceintes. Actuellement, plus de 30 % des Français résident dans un « désert médical » selon le rapport de la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, daté du 29 mars 2022.
Les déserts médicaux, plus qu’un sujet médiatique, une réalité
Depuis le milieu des années 2000, le terme « désert médical » s’est largement popularisé, notamment dans les médias, dans les discours des élus et plus récemment lors de l’élection présidentielle de 2022. Attention, désert médical ne veut pas pour autant dire qu’il existe des zones sans aucun accès à une offre de soins.
Que signifie réellement cette expression ?
Le désert médical représente l’impossibilité ou la très grande difficulté, pour les patients, à accéder aux professionnels de santé sur un territoire. Trois paramètres le définissent :
- Le premier l’accessibilité potentielle localisée (APL) aux médecins généralistes, est calculé en nombre de consultations par an par habitant. Il prend en compte l’offre et la demande issues des communes environnantes, le niveau d’activité des médecins, leur nombre et leur âge et les caractéristiques de la population.
- Le deuxième prend en compte la distance de la pharmacie la plus proche
- Et le dernier celle du premier établissement de soins d’urgence.
Si la désertification médicale se concentrait sur les zones rurales et éloignées des centres-villes, aujourd’hui elle touche presque la totalité de l’Hexagone. 62,4 % des habitants d’Île-de-France vivent dans un désert médical, selon l’ARS, soit plus de 7,6 millions de personnes.
La région capitale, qui compte 69 médecins pour 100 000 habitants, devient ainsi le premier désert médical de France, passant devant la région Centre-Val-de-Loire avec ses 71 médecins généralistes pour 100 000 habitants, quand la moyenne nationale s’élève à 123,8. Du côté des DROM (départements et régions d’outre-mer), les chiffres ne sont pas meilleurs. Mayotte a une densité de 48 médecins généralistes pour 100 000 habitants en 2021, selon l’atlas démographique de l’Ordre des médecins.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Pour Mathilde Dumontet et Guillaume Chevillard, auteurs de Remédier aux déserts médicaux (éditions Rue d’Ulm) et spécialistes de la question :
« la raréfaction actuelle de l’offre de soins est liée à une baisse du nombre de médecins généralistes libéraux et de leur activité, alors que l’on observe parallèlement une augmentation des besoins médicaux pour une population plus nombreuse, vieillissante et souffrant davantage de maladies chroniques. »
Pourquoi le nombre de médecins généralistes et de certains spécialistes (ophtalmologue, dermatologue, gynécologue ou encore psychiatre) diminue-t-il ?
Une des explications se trouve dans la pratique du numérus clausus depuis plus de 50 ans, qui cloisonne le nombre d’étudiants admis à pratiquer des études de médecine. S’il a été peu à peu relevé à partir de l’année 2000, il n’a pas permis de compenser les départs à la retraite.
Ses effets s’inscrivent dans la durée, puisque pour devenir médecin généraliste il faut a minima neuf ans d’études. Pour endiguer la pénurie de médecins d’ici une dizaine d’années, le plan « Ma santé 2022 » instaure un numerus apertus. Ainsi, depuis septembre 2021 le nombre minimum d’étudiants admis en deuxième année de médecine est déterminé en fonction des besoins des territoires.
Le vieillissement de l’âge moyen des généralistes contribue, lui aussi, à la désertification médicale. Le Conseil de l’Ordre des Médecins précise que :
« les médecins âgés de plus de 60 ans représentent 50,4 % de l’ensemble des inscrits en 2021 », quand seulement « 18,2 % ont moins de 40 ans ».
Cette situation pèse sur le nombre des généralistes en exercice dans les années à venir. L’évolution démographique de la population en âge comme en nombre est un facteur aggravant.
Des conséquences multiples
Outre les femmes qui ne bénéficient pas d’infrastructures de proximité pour accoucher sans risque, comme dans l’Eure, six millions de Français n’ont pas de médecin traitant, signale l’Assurance maladie en décembre 2021. Le nombre de médecins généralistes décroit d’année en année en raison des départs à la retraite. Les rares généralistes restants n’ont plus la capacité de prendre de nouveaux patients. Cela représente un problème majeur pour les personnes atteintes de maladies chroniques telles que le diabète.
« Le nombre de passages aux urgences est monté de 10,1 millions en 1996 à 21,2 millions en 2019 (+ 3,3 % par an). Cela s’explique en partie par le manque d’offres de soins de ville. Les consultations se reportent donc sur l’hôpital. »
Rapport de mars 2022 de la Commission d’enquête parlementaire – Hôpital : sortir des urgences !
L’encombrement des hôpitaux s’explique à la fois par la difficulté d’accéder à une consultation classique et par l’aggravation de la situation de santé due à l’absence de consultations régulières. Le tout mène les populations concernées à renoncer à certains soins du fait des délais d’attente et conduit à une augmentation des inégalités sociales de santé.
Le temps des solutions
E-santé, multiplication des centres pluridisciplinaires et des hôpitaux de proximité, formation de nouveaux médecins…
Pour faire face à la désertification médicale, de nombreuses initiatives se mettent en place. La crise sanitaire a modifié les pratiques médicales, amenant à trouver des solutions pour consulter sans sortir de chez soi : la e-santé et ses consultations à distance. La téléconsultation se fait soit en direct avec un médecin généraliste depuis un ordinateur ou une tablette, soit sur place avec un infirmier réalisant la consultation avec, en parallèle, la vérification du médecin généraliste en visio.
Cette pratique facilite le parcours d’accès aux soins de première nécessité et le renouvellement de prescription, libère les salles d’attente, raccourcit le temps de prise en charge et évite de parcourir des centaines de kilomètres.
L’émergence des maisons de santé pluridisciplinaire (MSP) répond aux envies des jeunes médecins de concilier vie personnelle et professionnelle. Elles réunissent différents professionnels de santé et proposent aux patients de réaliser une grande partie des actes de soins au même endroit. Les hôpitaux de proximité, eux, sont un atout pour désengorger les hôpitaux avec une prise en charge des petites urgences.
Enfin, l’augmentation des places en médecine avec le numerus apertus et la modification des conditions d’accès à la première année, permettra de former de plus en plus de nouveaux médecins généralistes et spécialistes.
3 questions à Maxime LEBIGOT
Infirmier au Centre hospitalier de Laval et Président de l’Association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM).
« Réguler l’installation des médecins »
Maxime LEBIGOT – Infirmier
1. Qu’est-ce qui vous a poussé à créer l’ACCDM ?
Infirmier depuis plus de 12 ans, je suis quotidiennement confronté aux conséquences des déserts médicaux. Mais c’est en juin 2016 que nous avons eu le déclic avec ma femme, également infirmière.
Notre médecin traitant a pris sa retraite alors que notre fils venait de naître. Il ne pouvait plus réaliser son suivi et ses vaccins. La Mayenne étant un territoire touché de plein fouet par la désertification médicale nous n’avons pas trouvé de médecin et avons été redirigés, par l’ARS, vers les urgences pédiatriques.
Impensable pour nous de passer par les urgences et embêter nos collègues déjà débordés. J’ai donc posté un message sur Twitter, interpellant sur la situation, qui a été relayé par Le Courrier de la Mayenne. Ensuite, tout est allé très vite, de nombreuses personnes ont voulu s’engager avec nous. Le 28 novembre l’association était créée. Aujourd’hui, nous sommes présents dans 15 départements.
2. En quoi consiste son activité ?
C’est une activité de lobbying citoyen à notre échelle. Nous représentons les usagers lors des conseils territoriaux et soumettons des solutions. Nous informons et sensibilisons les personnes sur la situation des déserts médicaux.
Par exemple, savez-vous que l’espérance de vie est réduite de 2 ans dans les zones sous dotées en structure médicale et personnel de santé ?
3. Que proposez-vous pour faire face aux inégalités territoriales de santé ?
Notre proposition majeure : la régulation de l’installation des médecins. Pour garantir à chaque citoyen l’accès aux soins de façon équitable, il faut un maillage territorial des médecins comme c’est le cas pour les pharmaciens, les notaires et les huissiers.
Concrètement, un médecin, généraliste comme spécialiste, devra en priorité s’installer en zone sous dotée et ne pourra s’installer dans une zone sur dotée que s’il récupère la patientèle d’un confrère partant à la retraite. Favoriser la délégation des tâches, qui permet aux médecins de retrouver du temps médical et aux infirmiers d’être revalorisés, est un autre levier qui va être expérimenté en Mayenne dès 2023.
Votre mutuelle engagée pour faciliter l’accès aux soins.
Avec ses deux centres médicaux et dentaires, situés au sein de la capitale, le Groupe Mutualiste RATP réaffirme son engagement pour lutter contre les déserts médicaux.
Ouverts à tous, sur rendez-vous, ils proposent une offre de soins diversifiée et de qualité, au prix le plus juste.
Dentistes, implantologistes, ophtalmologistes, ostéopathes, orthodontistes ou encore parodontistes y sont installés.
Ouvert en 1996, le centre du 62 quai de la Rapée accueille 570 patients chaque semaine, tandis que celui situé au 138 rue de Clignancourt, créé en 2009, en reçoit 240.