Le coeur féminin en danger

Les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité des femmes. À âge égal, elles cumulent plus de facteurs de risque que les hommes. Des inégalités de santé liées au sexe biologique et au genre social. Et un risque cardiovasculaire encore méconnu et sous-évalué, qui touche de plus en plus la jeune génération.

En France, elles sont 200 à mourir chaque jour des suites d’une maladie cardiovasculaire. 76 000 chaque année. Selon la Fédération française de cardiologie (FFC), ces pathologies qui affectent le coeur et les vaisseaux sanguins tuent huit fois plus que le cancer du sein. Dans la majorité des cas, elles résultent d’un dysfonctionnement de la circulation sanguine au sein des artères coronaires qui irriguent le coeur.

Chez la femme, l’accident vasculaire cérébral (AVC) constitue la première cause de décès. L’infarctus du myocarde (IDM) arrive en seconde position, puis les embolies pulmonaires. Chez les professionnels de santé, l’inquiétude monte car ces pathologies touchent de plus en plus les femmes jeunes. Selon le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) édité par Santé publique France, le taux d’hospitalisation pour un infarctus du myocarde chez les femmes de 45 à 54 ans a progressé de 4,8 % entre 2008 et 2013. Une augmentation de 1,8 % par rapport à la période 2002-2008. « Chez les hommes, la situation s’est également dégradée chez les jeunes, bien que dans une moindre mesure », souligne la revue.

D’où vient cette flambée d’infarctus chez les jeunes femmes ? Le BEH relève que « le tabagisme est l’une des composantes dominantes dans la survenue de l’IDM chez le jeune sujet […] La prévalence de l’obésité et du diabète a aussi augmenté dans toutes les classes d’âge, aussi bien chez les femmes que chez les hommes ». Parmi les autres ennemis du coeur, le stress, la charge mentale, la mauvaise alimentation, l’alcool et la sédentarité. 

Selon une enquête de l’Observatoire du coeur des Français dédiée au coeur des femmes, un mode de vie délétère serait responsable de la survenue de 80 % des facteurs de risque. Car ces comportements « font perdre aux femmes la protection (des artères) dont elles bénéficient naturellement jusqu’à la ménopause grâce aux oestrogènes », expliquait la cardiologue Catherine Monpère en 2023, lors d’une conférence de presse de la FFC. Cette relative immunité s’érode donc sous l’effet des modes de vie. « Les femmes se croient encore culturellement protégées jusqu’à cette période clé de leur vie hormonale et ne se sentent pas concernées », peut-on lire sur le site de la fondation « Agir pour le Coeur des Femmes ».

Le dernier baromètre IFOP « Coeur et femmes » confirme cette tendance : près d’une jeune femme sur deux pense que les hommes sont les premières victimes des pathologies cardiovasculaires. Et seulement 16 % des moins de 35 ans mentionnent l’arrêt du tabac ou sa limitation comme moyen de se protéger contre ces maladies. Pourtant, à consommation égale de cigarettes, les risques sont 25 % plus élevés chez la femme. « Les troubles du sommeil, la précarité ou l’âge sont mieux reconnus comme facteurs de risque », poursuit l’étude.

Les femmes exposées à des risques spécifiques

Si les facteurs de risque traditionnels dits « modifiables » (tabac, cholestérol, diabète, hypertension, surpoids, obésité et sédentarité) demeurent les premiers pourvoyeurs de l’IDM chez les femmes, il ne faut pas oublier les autres déterminants que sont l’hérédité, la génétique et l’âge.

Des facteurs environnementaux comme la pollution atmosphérique ont également été identifiés comme facteurs de risques des maladies cardiovasculaires. Mais pour les femmes, s’ajoutent des facteurs gynéco-obstétricaux. Elles sont ainsi particulièrement vulnérables aux moments clés de leur vie hormonale : contraception, grossesse et entrée dans la ménopause. Après 35 ans, l’association pilule oestroprogestative-tabac peut devenir un cocktail explosif car ce cumul accroît les risques de formation d’un caillot dans les artères. Le risque de faire un infarctus est alors multiplié par cinq. À 40 ans, par huit.

L’étude Wamif publiée en 2023 et coordonnée par le docteur Stéphane Manzo-Silberman enseigne que 87 % des patientes sous contraception estroprogestative présentaient au moins une contre-indication à leur prescription. Pendant la grossesse, certaines femmes développent de l’hypertension ou du diabète gestationnel, deux facteurs de risques cardiologiques pour le futur. En post-partum, le risque de phlébite ou d’embolie pulmonaire ne doit pas être négligé. Idem pour le Tako-tsubo, ou syndrome du coeur brisé qui naît d’une fragilité émotionnelle liée à l’accumulation de stress et peut provoquer la paralysie du muscle cardiaque.

L’entrée dans la ménopause s’accompagne elle souvent d’une prise de poids, d’une hypertension artérielle, d’une hausse du taux de glycémie et de cholestérol. Les risques de maladies cardiaques croissent. La ménopause précoce, l’endométriose et le syndrome des ovaires polykystiques sont aussi devenus des accélérateurs des facteurs de risques classiques.

Prévention et sensibilisation

De plus en plus exposées, les femmes méconnaissent souvent l’ampleur des pathologies cardiovasculaires et de leurs complications. Selon le baromètre « Coeur et femmes », 43 % des femmes considèrent que la ménopause est sans réel impact sur les risques cardiovasculaires, et seulement 25 % d’entre elles ont conscience d’un risque majoré pendant la grossesse.

Des préjugés sociétaux qui ont la peau dure et se traduisent par une perte de chance. Les femmes ont aussi tendance à minimiser leurs symptômes, parfois même à s’oublier. Selon la FFC, 68 % d’entre elles s’occupent de la santé d’un proche avant de s’occuper de la leur. « Le dépistage insuffisant des facteurs de risque et les symptômes souvent atypiques entraînent des errances diagnostiques avec des retards délétères dans les prises en charge », précise Agir pour le Coeur des Femmes. Un rapport de l’Académie de médecine publié en février 2025 signale que les femmes victimes d’un infarctus sont prises en charge en moyenne 30 minutes plus tard que les hommes. L’institution pointe le retard d’appel aux urgences, le retard de diagnostic dans les services d’urgence et l’absence du traitement optimal post-infarctus et de réadaptation cardiaque. En outre, la mortalité hospitalière des femmes est plus de deux fois supérieure à celle des hommes (9,6 % contre 3,9 %). Selon l’Académie de médecine, des protocoles de soins tenant compte des particularités anatomiques et des causes spécifiques de l’infarctus chez les femmes doivent voir le jour, et les techniques de prise en charge améliorées.

Autres recommandations : la sensibilisation et la formation des professionnels de santé, mais aussi celles du public concerné, et des moyens accrus alloués à la recherche spécifique aux femmes dans le domaine des maladies cardiovasculaires. Face à cette urgence sociétale et médicale, le bus d’Agir pour le Coeur des Femmes sillonne la France pour informer, sensibiliser et prévenir sur les maladies cardiovasculaires et gynécologiques. « Dans huit cas sur dix, l’entrée dans la maladie peut être évitée grâce à la prévention », rappelle la fondation. Le plan inter ministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027 poursuit une stratégie globale en faveur de la santé des femmes.

Objectifs : mieux prendre en compte leurs spécificités et renforcer l’accès aux soins par le déploiement de 30 bus itinérants destinés à renforcer le dépistage et la prévention.

Infarctus du myocarde : les signes qui doivent alerter

  • Une douleur aiguë et persistante dans la poitrine qui irradie le sternum, le dos, les épaules, la mâchoire, ainsi que le bras gauche. Elle traduit l’obstruction brutale de l’artère du coeur.
  • Chez les femmes, cinq symptômes atypiques encore méconnus sont souvent associés : un sentiment d’épuisement, un essoufflement à l’effort, une douleur intense dans le haut du dos, des palpitations ou encore des douleurs localisées au niveau de l’estomac ou du ventre (nausées, gêne, vomissements) et une sensation d’angoisse.

L’avis du docteur Olivier Hoffman

« Les femmes maintenant travaillent comme les hommes, fument comme les hommes, stressent comme les hommes, boivent comme les hommes et finalement font autant d’infarctus que les hommes si ce n’est plus. Elles ont les mêmes facteurs de risque mais elles ne se font pas dépister. Dès qu’un homme a la moindre douleur thoracique, c’est cardiaque et il va aller voir un cardiologue même si ça ne l’est pas. Alors qu’une femme, soit elle consulte moins, soit son médecin traitant va considérer que ce n’est rien.

Je vois tous les jours des femmes CSP+ qui consultent un cardiologue pour la première fois et se demandent pourquoi, parce que souvent, les femmes ne se plaignent pas, s’occupent de leur famille sur le plan médical mais s’intéressent moins à leur santé personnelle. C’est la raison pour laquelle il y a plus de 5 % par an d’augmentation d’hospitalisations pour infarctus chez les femmes de 45 à 55 ans. 30 % des victimes d’un infarctus du myocarde de moins de 55 ans sont des femmes, c’était la moitié 30 ans auparavant. Il y a une vraie augmentation de ces événements cardiovasculaires chez la femme : infarctus et accident vasculaire cérébral en particulier à cause de l’hypertension qui peut être négligée.

Pour améliorer la prévention et la prise en charge des femmes, il faut dépister très tôt les facteurs de risque : réaliser un bilan biologique complet sur le sucre et le cholestérol, vérifier qu’il n’y a pas d’hypertension artérielle, savoir s’il y a un tabagisme ou pas et s’il y a une vraie hérédité. On est plus sensibilisé à dépister tôt les problèmes cardiovasculaires si un membre de votre famille proche a fait un infarctus. Le surpoids n’est pas un facteur de risque indépendant mais peut favoriser l’hypertension ou le diabète. Si vous avez une hypercholestérolémie familiale, il faut dépister cela dès le plus jeune âge, voire à la puberté. Dans plus de 50 % des cas, une douleur thoracique rétrosternale qui peut aller dans le bras gauche, le bras droit ou les mâchoires, parfois une douleur à l’estomac accompagnée de nausées ou de vomissements, un essoufflement ou des palpitations inhabituels peuvent révéler un problème cardiaque coronarien chez la femme.

Grâce au travail de la professeure Claire Mounier-Vehier, d’Agir pour le Coeur des Femmes et du Bus du Coeur, une prise de conscience collective s’opère. Dans les médias nationaux, de plus en plus d’articles traitent du coeur des femmes, des signes cliniques, du dépistage cardiovasculaire chez la femme, en particulier avec les facteurs de risque. C’est en train de rentrer dans les moeurs. Lancée en 2024, la journée du Coeur des femmes est une occasion pour la fondation d’intervenir dans des établissements de santé, hôpitaux, cliniques et dans le monde de l’entreprise pour organiser des conférences et un dépistage logistique.

Les maladies cardiovasculaires concernent toutes les couches de la société et pas forcément les femmes en situation de précarité.

Olivier Hoffman – Cardiologue, ambassadeur d’Agir pour le Coeur des Femmes et ancien président du Collège national des cardiologues français

 

Bon à savoir : dépistage Check-Up Santé

Dans le cadre de la Stratégie nationale de santé 2023-2033, la Mutuelle RATP et la Mutualité française Île-de-France organisent des check-up santé pour les plus de 60 ans. Un dépistage de 15 à 20 minutes est réalisé par un infirmier ou une infirmière pour faire le point sur sa santé cardiovasculaire (tension, glycémie, prise de pouls, indice de masse corporelle, tour abdominal). Objectifs : évaluer les facteurs de risque cardiovasculaire, favoriser leur prise en charge précoce et promouvoir une bonne hygiène de vie. Lors de ces dépistages, d’autres diagnostics sont réalisés concernant l’audition, la vue et l’hygiène bucco-dentaire afin d’offrir un check-up complet. En 2024, 49 personnes ont participé, dont 37 femmes et 12 hommes. Le dispositif va être reconduit en 2025.