La santé mentale des enfants : où en est-on ?
Les premiers résultats de l’étude Enabee, commandée par Santé Publique France, sur des enfants de 6 à 11 ans rapportent que 13 % d’entre eux auraient « un trouble probable » de santé mentale. Un chiffre qui aurait grimpé avec les effets durables du confinement. Quels sont les moyens donnés aujourd’hui à ce problème de santé publique et comment y pallier ?
Le terme de « santé mentale » englobe les épisodes transitoires et les troubles mentaux de longue haleine comme l ’explique Manuel Bouvard, chef du pôle universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à Charles Perrens à Bordeaux : « Il faut distinguer dans la santé mentale les difficultés passagères, souvent émotionnelles, des symptômes durables comme l’autisme, la dyslexie, les dépressions ou encore les troubles alimentaires. Il est important de tenir compte de ces variables pour faire un bon diagnostic. »
Effet rebond du Covid
Ces dernières années, pandémie oblige, s’est trouvée la nécessité de lancer une étude chiffrée intitulée Enabee : on parle, pour les premiers résultats, de 13 % d’enfants entre 6 et 11 ans qui présenteraient un « trouble » probable de santé mentale, soit 1 enfant sur 10.
C’est l’effet confinement qui nous permet de mieux comprendre qu’il s’agit d’une hausse sans appel : « Depuis le Covid, il y a une flambée des troubles surtout émotionnels, reprend Manuel Bouvard, puisqu’on parle d’une augmentation de près de 20 % depuis 2020.
Le plus inquiétant, c’est la montée de l’anxiété et surtout l’épidémie de tentatives de suicide dans une tranche d’âge peu touchée avant, celle des 11-14 ans. »
Les confinements auraient donc eu des effets flagrants, mais aussi persistants dans le temps. « Il y a moins de passage aux urgences cette année, mais nous ne sommes pas du tout revenus à la situation de 2019 », affirme-t-il. Cette hausse, Manuel Bouvard l’explique par des facteurs multiples de causes et de conséquences : le confinement a augmenté les violences familiales, a entraîné des ruptures de groupes sociaux (loisirs, sport) et a favorisé le stress des parents.
Cet ensemble a pu entraîner des déséquilibres qui ont affecté la santé mentale. De ces chiffres croissants, il faut aussi prendre en compte un autre aspect évolutif de nos pratiques, celui de s’intéresser davantage à la santé mentale depuis ces dix dernières années et de mieux diagnostiquer les troubles psychiques. « C’est très clair qu’on observe depuis longtemps une augmentation du nombre de cas chez les moins de 18 ans. Mais, dans le même temps, on sait que l’on identifie mieux les troubles chez les enfants car la psychiatrie est moins stigmatisée, on a moins honte d’aller chez le psy » conclut Manuel Bouvard.
À Paris, le professeur en pédopsychiatrie Antoine Guédeney constate un maintien des inégalités : « Les enfants qui vont bien vont très bien. Grâce aux confinements du Covid, ils ont pu profiter de la présence de leur famille et notamment de leur père, beaucoup plus présent à la maison. Mais les enfants qui n’allaient pas très bien vont encore plus mal. Il y a beaucoup de stress chez des familles qui vivent l’isolement. On dit, d’après l’adage, qu’il faut un village pour élever un enfant, c’est-à-dire un cercle social, des moyens, des soutiens. Beaucoup de jeunes parents manquent de cet entourage qui pourrait les aider. »
Bien détecter
Nombreux sont les parents qui manquent de soutien et développent une grande culpabilité quand ils font face aux problématiques de leurs enfants. « Ce ne sont pas les familles qui sont responsables des troubles de leurs enfants de manière générale, c’est un raccourci trop simple. Le système éducatif est débordé donc l’enjeu est de donner des aides aux parents » dit Manuel Bouvard. Du côté des symptômes, les différentes ressources sur le sujet sont unanimes et donnent des « critères » très clairs.
Ce qui doit vous alerter, ce sont des changements flagrants et notables dès la petite enfance : votre enfant ne dort plus, a changé de caractère, a abandonné des activités qu’il aimait, est beaucoup plus irritable et a des colères durables, n’a plus d’appétit, ses notes à l’école chutent soudainement, etc.
S’il est utile de se questionner sur les changements dans votre propre vie de parents et leurs potentiels impacts sur vos enfants, il est primordial de prendre en charge la problématique au bon moment. Dès les trois mois de son enfant adopté à la naissance, Élodie a fait face à des difficultés d’endormissement et de grosses crises de colère. En l’accompagnant, dès les premiers signes de troubles émotionnels, elle a aussi changé son regard sur son enfant qui a aujourd’hui 5 ans : « Jusqu’à présent, j’étais très angoissée parce que je voulais que mon fils soit comme tout le monde et, maintenant, j’ai accepté qu’il soit différent des autres : je suis moins inquiète. Plus il grandit, plus il comprend, on passe énormément de temps à verbaliser les émotions. »
Prendre du recul et se faire accompagner
Le parcours médical a été compliqué, voire chaotique, pour Élodie, car les interlocuteurs ont souvent manqué à l’appel : « J’ai été voir le seul pédopsychiatre de notre coin et j’ai fui à la première séance car il avait des méthodes archaïques et inadaptées à notre problématique. Ensuite, nous étions pris en charge par la maison de la parentalité où nous avions une super psychologue qui a finalement déménagé. Après nous avons été sans cesse baladés, sans trouver de professionnel adapté. J’ai beaucoup pleuré, et j’avais l‘impression que personne n’écoutait notre détresse. Soit les services sont saturés avec plusieurs années d’attente, soit les professionnels eux-mêmes se sentent démunis. La psychologue du seul Centre Médico-Psychologique pour Enfant et Adolescent (CMPEA) de notre zone n’a pas pu le prendre en charge. Finalement, notre fils voit maintenant une hypnothérapeute. »
L’État a mis en place plusieurs dispositifs qui peuvent aider les parents même s’ils sont souvent pris d’assaut : les CMPEA qui développent des groupes de paroles entre enfants, mais aussi entre parents, les instituts de la parentalité, le dispositif Passerelle qui aide à une réhabilitation sociale et à une préprofessionalisation des jeunes de 16 à 25 ans…
Le domaine de la pédopsychiatrie est en effet encore trop peu fourni et souvent saturé pour répondre à la demande croissante. Selon Claire Hédon, défenseur des droits « 25 départements ne sont pas couverts en pédopsychiatrie ou ont des services uniquement ambulatoires » (propos rapportés par Le Figaro). Sur les divers témoignages recueillis lors de l’écriture de ce dossier, les parents rapportent avoir dû beaucoup dialoguer avec le personnel scolaire, parfois via le pédopsychiatre, pour « embaucher une personne de plus à la cantine afin de mieux s’occuper des enfants en difficulté » ou « faire évoluer et améliorer les échanges entre l’enfant et l’enseignant. »
Aurélie, maman d’un enfant avec un trouble anxieux et un trouble de la persécution, espère un Accompagnant d’Élève en Situation de Handicap (AESH) pour l’entrée en primaire de son fils. En croisant les doigts, elle conseille « d’aller frapper à toutes les portes afin de trouver les outils adéquats pour accompagner son enfant et de le libérer, étape par étape, en se félicitant à chaque fois qu’une problématique est dépassée et résolue. »
Le 10 octobre prochain est la Journée mondiale de la santé mentale, une occasion de se renseigner davantage sur le sujet.
3 questions à …
Que pensez-vous des premiers résultats de l’étude Enabee ?
Elle parle de mesurer le bien-être des enfants, je trouve déjà cette notion délicate : comment un enfant est-il en mesure de comprendre cette notion ? Ensuite, il ne faut pas confondre bien-être et santé mentale : vous pouvez vous sentir bien, tout en étant en dépression. Cela dépend de la façon dont vous êtes soigné. Ce qui est important, ce sont les études épidémiologiques et longitudinales, comme celle du Danemark, qui permettent de
comprendre la fréquence réelle des troubles mentaux des enfants. Elles recoupent des données très précises sur des années qui font des liens clairs par exemple entre consommation de cannabis et déclenchement de dépression
majeure. En France, nous n’avons rien d’aussi précis permettant d’avancer sur la prise en charge et la prévention.Que sait la science de la façon dont arriventles troubles mentaux ?
Le plus important à comprendre c’est que ce n’est jamais une cause unique. C’est multifactoriel et séquentiel : il y a toujours une vulnérabilité génétique qui doit être ensuite mise en oeuvre par l’environnement physique ou relationnel pour déclencher le trouble. Quand on est parent, on se sent toujours responsable et coupable. D’où la nécessité de la prévention précoce c’est-à-dire de repérer un seuil dépassé. Pour cela, il faut mieux connaître le développement précoce de l’enfant et ses étapes importantes. Il n’y a rien de facile, on apprend par essai ou erreur, mais une fois le problème détecté, il faut mettre les bons moyens en oeuvre sans se sentir coupable.
Avec la pénurie de pédopsychiatres, vers qui se tourner ?
L’idéal, ce serait de faire appel au pédopsychiatre quand il en faut vraiment un, c’est-à-dire quand le problème est grave. Une puéricultrice, une infirmière de soins avancés ou un médecin généraliste convenablement formé peuvent vous résoudre 9 fois sur 10 des histoires de bébés et d’enfants avec succès. C’est ce qui existe dans la plupart des pays développés autour de chez nous. Souvent, les parents cherchent des ressources sur Internet ou dans les magazines. Cette idée que la science et les études poussées peuvent apporter des réponses au quotidien est très peu répandue dans les professions de santé en France. Il faut absolument mieux former les professionnels de santé qui sont en première ligne.
Antoine Guédeney – Professeur de pédopsychiatrie à l’hôpital Bichat et auteur
En savoir plus :
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