Handicap invisible : sortir des préjugés
La plupart des handicaps ne se voient pas. Mais ce n’est pas parce qu’ils sont invisibles qu’ils doivent être ignorés. Pour aider les personnes qui en souffrent, si nous commencions par changer notre regard?
«Mon plus grand handicap? C’est que le mien ne se voit pas. »
Sur le site de l’association de patients atteints de spondylarthrite, une maladie inflammatoire chronique, cette petite phrase précède les témoignages. Tous disent qu’à la douleur de la maladie s’ajoute celle de voir leur souffrance ignorée.
Beaucoup de maladies invalidantes, d’atteintes psychiques ou sensorielles ne se remarquent pas et constituent un handicap invisible. Leur diversité et leur nombre en compliquent la reconnaissance et parfois la prise en charge : endométriose, sclérose en plaques, migraine, fibromyalgie, déficits auditifs, diabète, épilepsie, dyslexie, dépression, trouble du spectre de l’autisme, troubles anxieux…
Sans oublier les 7 000 maladies rares qui affectent 4,5 % de la population. Selon APF France handicap, sur 12 millions de personnes en situation de handicap dans notre pays, 9 millions ont un handicap invisible.
Etats des lieux
L’article L. 114 du code de l’action sociale et des familles définit le handicap comme « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».
Invisibles parmi les invisibles, les troubles neurobiologiques, cognitifs ou psychiques se distinguent des atteintes physiques par l’incompréhension qu’ils suscitent, souvent accompagnée de peur.
Or, 1 personne sur 100 en France présente des troubles du spectre de l’autisme. Les troubles cognitifs (en particulier les fameux « dys » qui désignent les troubles du langage et des apprentissages) concernent 5 à 6 % des enfants, soit un élève par classe.
Les maladies psychiques, telles que la dépression ou les troubles anxieux, touchent 20 % de la population à un moment ou un autre de la vie. De tels chiffres obligent à regarder les choses en face.
Changer les regards
Ce qui constitue le handicap, c’est aussi la limitation de l’accès à la vie en société. Fondée en 2019, l’association Neurodiversité France veut faire évoluer nos regards sur la différence. Elle appelle à considérer l’autisme ou les troubles dys comme des variantes du cerveau humain.
Ainsi, c’est à la société de s’adapter pour accueillir cette diversité cognitive au lieu de tenter d’imposer à tous une même norme. D’autant que nous avons tous à y gagner. Une société plus inclusive ne bénéficie pas qu’aux seules personnes considérées comme handicapées.
De la même manière que les aménagements réalisés pour les fauteuils roulants facilitent aussi la vie des parents avec poussettes, une meilleure prise en compte des personnes ayant un handicap mental, cognitif ou psychique profite aussi à de nombreuses autres catégories d’usagers : personnes âgées, illettrées ou simplement étrangères, comme le relève le Cerema dans ses fiches « handicaps et usages » destinées à inciter les élus à améliorer l’accessibilité du cadre de vie.
Dans nos villes comme dans nos écoles ou nos entreprises, la différence est une richesse. L’intelligence collective d’un groupe s’accroît avec sa diversité.
Emploi et handicap
Pourtant, le handicap reste un frein majeur pour l’accès à l’emploi.
Même s’il baisse, passant de 18 % en 2018 à 13 % aujourd’hui, le taux de chômage des travailleurs handicapés représente pratiquement le double de celui de l’ensemble de la population. En cause : la difficulté à aborder ce sujet.
Aujourd’hui encore, alors même que 80% des entreprises emploient au moins un travailleur handicapé, le sujet reste tabou : 61 % des actifs et retraités n’ont jamais fait apparaître leur situation de handicap sur leur CV. Seul 1 salarié sur 2 aborde ce sujet avec ses collègues, et 1 sur 4 avec les représentants du personnel (1).
C’est particulièrement frappant pour l’endométriose. Cette maladie gynécologique, qui se traduit notamment par des règles douloureuses, touche 1 Française sur 10. Pourtant, la plupart des femmes atteintes ne s’autorisent pas à évoquer cette pathologie alors même qu’elle affecte significativement leur vie professionnelle, comme le révèle le Livre blanc réalisé par l’Association française de lutte contre l’endométriose.
Ainsi, parfois, c’est le silence qui invisibilise. Or pour bénéficier d’aide, les personnes en situation de handicap doivent se déclarer, être reconnues.
Une reconnaissance administrative
2,9 millions de personnes bénéficient de la reconnaissance de leur qualité de travailleur handicapé (RQTH).
Cette reconnaissance facilite l’accès à l’emploi, permet de bénéficier d’aides financières ou encore d’aménagements des horaires ou du poste de travail. Elle est attribuée par la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées après examen d’un dossier (2) déposé auprès de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH). Le médecin traitant, les services sociaux, la médecine du travail et l’employeur peuvent aider à accomplir ces démarches. Le médecin du travail dispose de formulaires spécifiques pour une procédure accélérée.
Pour les demandeurs d’emploi, la RQTH offre un accompagnement individualisé au moyen de Cap Emploi, un dispositif dédié qui aide également les employeurs à remplir leurs obligations : toutes les entreprises françaises de 20 salariés ou plus sont tenues à une obligation d’emploi des travailleurs handicapés à hauteur de 6% de leur effectif total. Grâce à ce dispositif, le recrutement de personnes en situation de handicap a progressé de 13 % entre 2021 et 2022.
Et le nombre de personnes handicapées bénéficiant d’un dispositif d’emploi accompagné a augmenté de 45 % en un an.
Faire reconnaître son handicap peut donc présenter un avantage professionnel. En parler le rend visible et offre ainsi à l’entourage le moyen de comprendre les difficultés rencontrées.
3 questions à Sandra Leber-Berson
« Le handicap, visible ou non, est une richesse »
– Experte inclusion, formatrice Handicap et communication, autrice
Comment définissez-vous le handicap invisible?
Il faut revenir à l’étymologie. Le handicap vient de l’anglais hand-in-cap et désigne un jeu de troc du XVIe siècle dans lequel l’équivalence de différents lots assure l’égalité des chances des joueurs.
Je suis convaincue qu’il faut retenir cette définition positive qui repose sur des valeurs d’équité et d’égalité plutôt que de se focaliser sur la maladie ou la déficience. Le handicap, visible ou non, est aussi une richesse : il oblige à l’adaptation, au développement de nouvelles capacités, de nouvelles compétences.
En ce qui me concerne, il m’a apporté ce nouveau métier de formatrice et m’a donné la force d’écrire un livre, une conférence, d’organiser une exposition…Mon parcours de vie a fait de moi une combattante.
Quel a été ce parcours?
Il a été celui de trop nombreuses personnes frappées par un handicap invisible. Il y a 14 ans, la maladie s’est invitée dans ma vie. Quatre années d’errances médicales ont été nécessaires pour poser un diagnostic.
Pendant ces quatre années, la souffrance psychique s’ajoutait à la douleur physique : je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, et mon entourage encore moins.
Beaucoup de personnes dans ma situation rencontrent un effet domino : l’irruption de la maladie fait éclater la sphère familiale, bouleverse la situation professionnelle, renforce l’isolement, la précarité…La reconnaissance du statut de personne handicapée est un cheminement personnel douloureux qui s’accompagne trop souvent d’un calvaire administratif : il m’a fallu 10 ans pour obtenir ma carte mobilité inclusion. Et tous les deux ou cinq ans, ma situation est réexaminée par la MDPH.
Les dispositifs manquent à la fois d’humanité et de cohérence. Est-il réellement acceptable pour les entreprises de considérer le recrutement de personnes handicapées sur le seul plan financier?
Comment améliorer cela?
Je n’ai pas le pouvoir de transformer le monde, juste celui d’aller à la rencontre des gens pour mettre des mots sur les maux, sortir de la souffrance en brisant le silence. Il est important de libérer la parole.
Nous aurons gagné quand le handicap invisible ne sera plus un sujet. Après tout, nous avons tous vécu dans nos vies des situations handicapantes qui nous ont renforcés.
PAROLES D’INVISIBLES :
À ÉCOUTER : On peut être reporter et bipolaire, journaliste politique et dyslexique : en format podcast, l’INA (Institut national de l’audiovisuel) donne la parole aux professionnels de l’audiovisuel qui témoignent de leur handicap invisible https://www.ina.fr/actualites-ina/80-un-podcast-sur-le-handicap-invisible-et-les-metiers-de-l-audiovisuel
À LIRE : Docteur en psychologie sociale, Julie Dachez décrit en bande dessinée et en collaboration avec Mademoiselle Caroline, sa vie d’autiste Asperger : La différence invisible, aux éditions Delcourt
À REGARDER : Réalisée par Marion Vernoux, Bonhomme est une comédie dramatique qui raconte comment un couple voit son quotidien bouleversé par un traumatisme crânien.
Sources
(1) Enquête de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) et l’IFOP à l’occasion de la 26e semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées
(2)Le dossier à remplir est téléchargeable sur https://travail-emploi.gouv.fr/emploi-et-insertion/emploi-et-handicap/rqth