Jeux Paralympiques de Paris 2024 : la victoire du sport et du handicap

Les Jeux Paralympiques de Paris ont déjà battu un record : celui du nombre de pays, 160, qui proposeront la couverture en direct des épreuves paralympiques. Une mise en lumière qui aide à changer les regards sur le handicap, et démontre à tous à quel point, au-delà des performances, le sport est un allié au quotidien.

Il y a 100 ans tout juste, en 1924, se déroulaient à Paris les International Silent Games, une compétition réservée aux personnes sourdes et malentendantes. La 25e édition de ce qui est devenu les « Deaflympics » (de l’anglais deaf « sourd ») aura lieu en 2025 à Tokyo. Conséquence du succès et de la longévité de la toute première compétition sportive internationale pour non-valides : les athlètes malentendants ne concourent pas aux Jeux Paralympiques, nés bien plus tardivement.

Quels handicaps ?

Les Jeux Paralympiques, dont le nom est officiellement adopté par le Comité olympique international (CIO) en 1984, comprennent aujourd’hui des épreuves ouvertes aux sportifs présentant une déficience visuelle, physique (amputation, hémiplégie, paraplégie…) ou intellectuelle. Toutefois, le handicap intellectuel peine à se tailler une place aux Jeux Paralympiques. À Paris, il n’est représenté que dans trois disciplines paralympiques : la natation, le tennis de table et l’athlétisme.

Comme les sourds, les personnes en situation de handicap mental disposent de leurs propres jeux mondiaux : les Special Olympics nés en 1968 à Chicago, dans lesquels l’accent est davantage mis sur la participation que sur la performance sportive. En France, la Fédération Française de Sport Adaptée s’adresse aux personnes en situation de handicap mental ou psychique, tandis que la Fédération Française Handisport propose des activités sportives aux personnes présentant un handicap physique ou sensoriel. Mais Deaflympics, Special Olympics et Jeux Paralympiques partagent un même objectif : changer le regard sur le handicap, valoriser la différence et, le temps d’une épreuve ou d’un exploit, faire des athlètes handicapés des modèles de résilience et des exemples à suivre.

Changer les regards

Selon un sondage réalisé en février 2024 par l’IFOP pour APF France Handicap, pour près de 80 % des Français, la télévision et les Jeux Paralympiques ont un réel pouvoir pour faire changer le regard sur le handicap. Ils sont 86 % à estimer que les Jeux Paralympiques permettent de remettre en question les stéréotypes associés aux personnes en situation de handicap. Si cet événement peut parvenir à rendre notre société plus inclusive et ouverte aux personnes handicapées, c’est sans doute parce qu’il s’agit d’un événement sportif. Ancien numéro un mondial de tennis en fauteuil roulant, Michaël Jérémiasz conduit la délégation sportive française aux Jeux Paralympiques de Paris.

Avec quatre participations aux Jeux Paralympiques et autant de médailles, il mesure les bienfaits du sport, et pas uniquement pour les athlètes de haut niveau : « Le sport permet d’abord de changer le regard qu’on porte sur soi-même. Quand on vient de vivre un accident, pratiquer une activité sportive permet de se familiariser à nouveau avec son corps, en découvrant les limites mais aussi en parvenant à maintenir son autonomie, et d’en être à nouveau fier. Grâce au sport, on gagne de la confiance. Et plus on est actif, plus on fait des choses qui sortent de la zone dans laquelle on nous a enfermés et plus cela a un impact positif sur le regard des autres. »

Du sport sur ordonnance

Handicapé ou non, les bénéfices sur la santé du sport, et plus largement de l’activité physique, sont largement établis pour tous. Les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), au moins 30 minutes d’activités physiques tous les jours, profitent de la dynamique des JP de Paris 2024 : depuis la rentrée 2022, 36 250 écoles élémentaires ont fait de ce mot d’ordre une réalité quotidienne. Ce qui vaut pour les enfants vaut aussi pour les adultes.

Tous peuvent profiter des bénéfices de l’activité physique. Et en particulier ceux qui se sentent le moins aptes à la pratiquer. Les personnes âgées, celles qui souffrent d’une maladie chronique comme celles qui sont en situation, même ponctuelle, de perte d’autonomie, toutes peuvent pratiquer un sport et en faire un allié pour aller mieux. Pas question de viser des médailles olympiques : il s’agit d’abord de gagner (ou de regagner) la forme, à tout moment de la vie. Les médecins généralistes peuvent, depuis 2017, prescrire un programme dActivité Physique Adapté (APA) qui tient compte de l’état de santé, de la condition physique et des préférences de chacun. Ce programme progressif et personnalisé se fait sous la supervision d’un professionnel de santé (ou d’un enseignant en APA). Si à ce jour l’assurance maladie ne rembourse pas les programmes d’activités physiques adaptés, ceux-ci peuvent néanmoins être pris en charge, partiellement ou en totalité, par certaines collectivités locales.

Aux côtés de l’APA, il existe aussi le sport-santé, une pratique qui peut également être prescrite par le médecin, qui se fait, généralement en groupe, sous l’encadrement d’un éducateur sportif. Changer le regard sur le handicap, c’est aussi reconnaître que c’est une situation qui nous concerne tous, à un moment ou à un autre de notre vie. Visible ou invisible, provisoire ou définitif, le handicap est une épreuve que le sport aide à dépasser. « Le sport m’a d’abord aidé à me réapproprier mon corps et à comprendre qu’être handicapé ne signifie pas être incapable. J’ai réalisé que je pouvais repousser mes limites et m’adapter à n’importe quelle situation », témoigne Philippe Croizon, athlète quadri-amputé, qui, après avoir traversé la Manche, a relié cinq continents à la nage.

L’après Jeux Paralympiques 2024

Pour accueillir convenablement plus de 350 000 visiteurs en situation de handicap et 4 400 parasportifs, l’ensemble des sites où se dérouleront les épreuves ont été aménagés, des travaux ont été entrepris pour améliorer l’accessibilité des gares, près de 1 000 taxis ont été adaptés pour les personnes à mobilité réduite. Cette dynamique se poursuivra au-delà des Jeux : un fonds territorial d’accessibilité de 300 millions d’euros a été mis en place, jusqu’au 31 décembre 2028, pour financer, à hauteur de 50 %, les travaux de mise en conformité des établissements recevant du public : commerces, bars, restaurants, hôtels, cabinets médicaux et paramédicaux, locaux d’associations…

Le 16 mai 2024, la 9e édition du comité interministériel du handicap se fixait des objectifs pour continuer à articuler sport et handicap : étendre l’accessibilité dans les transports et les équipements sportifs, revaloriser le remboursement par l’Assurance Maladie des fauteuils roulants dédiés à la pratique sportive, porter de 1 000 à 3 000 le nombre de clubs de sports capables d’accueillir des personnes en situation de handicap… Plus anecdotique, mais révélateur : dès septembre 2024, la plateforme d’information officielle pour les personnes en situation de handicap et leurs aidants, monparcourshandicap.gouv.fr, se dotera d’une rubrique sport.

3 questions à Gautier Simounet

Comment êtes-vous devenu guide d’athlète Handisport ?

Je pratique l’athlétisme, en individuel, depuis l’âge de 14 ans. En 2007, l’entraîneur d’Assia El Hannouni, une sprinteuse malvoyante qui venait de décrocher 4 médailles d’or aux Jeux Paralympiques d’Athènes, m’a proposé de courir avec elle. Quand on débute l’athlétisme, on rêve davantage de devenir Carl Lewis ou Usain Bolt que guide d’athlète. Pourtant, même si le guide est dans l’ombre de l’athlète, cela représente une expérience humaine et sportive extrêmement enrichissante. On passe du sport individuel au sport collectif, on ne court plus pour soi mais pour l’autre. Aujourd’hui, je ne cours plus, je suis devenu le référent guide d’athlètes de l’équipe de France handisport. Je partage mon expérience. L’accompagnement d’athlètes déficients visuels s’étend bien au-delà de la piste d’athlétisme.

Comment avez-vous concilié vie professionnelle et sport de haut niveau ?

La RATP a une dizaine de postes destinés aux sportifs de haut niveau. J’ai commencé grâce à une convention d’insertion professionnelle, entre la RATP et le ministère de la Jeunesse et des Sports. J’ai suivi une formation de chargé d’exploitation, puis j’ai bénéficié d’un poste à mi-temps, avec la possibilité de gérer mon temps comme je voulais pour participer aux entraînements et aux compétitions. En 2018, j’ai pris ma retraite sportive et suis sorti de ce cadre. Mais mon employeur continue à faire preuve d’une grande souplesse pour me laisser mener mes activités de coach de l’équipe de France d’athlétisme handisport.

Qu’attendez-vous des JP 2024 ?

De la part des athlètes, j’attends qu’ils prennent tout ce qu’il y a à prendre ! Courir à la maison, représenter son pays chez soi est exceptionnel : il ne faut pas que le stress ou l’émotion coupent les jambes. Au contraire, cela doit donner  des ailes ! J’attends aussi que le public soit au rendez-vous. Ces Jeux Paralympiques doivent être l’occasion de parler du handicap de façon sportive et positive. Il faut sortir de la pitié et savoir apprécier la performance. Ne pas voir des handicapés qui font du sport, mais admirer des sportifs avec un handicap.

Gautier Simounet – Responsable des guides d’athlètes de l’équipe de France handisport, double champion paralympique et manager d’exploitation ferroviaire sur la ligne A du RER.

Les grandes dates du Paralympisme

  • 1948 : À l’initiative de leur médecin, 16 vétérans de la Seconde Guerre mondiale en fauteuil roulant disputent une épreuve de tir à l’arc à l’hôpital de Stoke Mandeville.
  • 1960 : la 9e édition des jeux de Stoke Mandeville se déroule à Rome, à la suite des Jeux Olympiques : 400 athlètes paraplégiques provenant de 23 pays s’affrontent dans 8 disciplines sportives.
  • 1976 : à Toronto, les Jeux Paralympiques s’ouvrent aux athlètes mutilés et mal ou non-voyants.
  • 1982 : Création de l’ICC (Comité International de Coordination des organisations mondiales de sport pour les handicapés) qui devient, en 1989, le CIP (Comité paralympique international).
  • 1996 : À Atlanta, pour la première fois des sportifs déficients intellectuels sont autorisés à concourir.
  • 2024 : les Jeux Paralympiques de Paris réunissent 4 400 athlètes de 185 pays, qui se rencontrent dans 23 disciplines sportives et 549 épreuves.

Témoignage : Timothée Adolphe, Sprinteur paralympique

Je n’ai pas de temps à perdre avec un aveugle. » Timothée Adolphe a 15 ans et il est en train de perdre complètement la vue lorsque l’entraineur d’un club d’athlétisme d’Angers lui assène cette phrase. Une claque.

Né en 1989 dans les Yvelines avec un glaucome congénital, Timothée s’est lancé dans l’athlétisme avec les valides. « Dans mon club de Guyancourt, l’entraineur imaginait des dispositifs pour m’aider : des marquages fluos sur les haies, la planche d’appel de saut en hauteur, le long de la piste…

Le déménagement et l’accueil reçu à Angers ont mis un terme brutal à tout ça », se souvient Timothée Adolphe. Il s’est alors tourné vers la musique, écrivant et composant des morceaux de rap. Un ami musicien à qui il confie à quel point la course lui manque, lui parle du Paris Université Club où s’entrainent ensemble athlètes valides et en situation de handicap.

Il a 21 ans, quand il pousse la porte du club et rencontre Arthémon Hatungimana qui devient son entraineur. Timothée apprend à courir avec un guide. Les performances sont vite au rendez-vous : un premier record de France sur 800 mètres, puis une médaille de bronze sur 400 mètres aux championnats du monde de Lyon en 2013, qui lui vaut le surnom de « guépard blanc ». Mais les épreuves sont aussi de la partie : « Je dois avoir le record du monde des disqualifications, plaisante Timothée. Les épreuves guidées des déficients visuels sont les plus sanctionnées : le règlement est très strict, très technique. Quand on court à deux, avec une très haute intensité, l’erreur peut arriver très vite ».

Aux Jeux de Rio, il est disqualifié pour avoir empiété sur la ligne de son couloir, aux championnats de Londres, l’épaule de son guide franchit la ligne devant lui et le prive de sa victoire aux 200 mètres, à Tokyo, c’est la perte du lien qui l’unit à son guide, quelques mètres avant l’arrivée qui lui coûte sa médaille d’or sur 400 mètres. Il obtient sa revanche avec une médaille d’argent sur 100 mètres et un record personnel de 10’90.

« Merci pour l’amuse-gueule, mais j’ai encore très faim. Rendez-vous à Paris 2024 pour le festin », chante-t-il dans Olympe II, un morceau de rap écrit à son retour du Japon. Outre une revanche sous forme de médailles d’or, l’athlète compte aussi sur ces Jeux Paralympiques à domicile pour faire évoluer les regards sur les différences : « Ces Jeux ne sont pas une finalité mais bien une ligne de départ pour déconstruire les clichés et progresser en matière d’accessibilité ». Pour les préparer, il enchaine les compétitions jusqu’en juillet. Le 14 juin 2024, au Handisport Open de Paris, Timothée Adolphe et son guide Jeffrey Lami, agent de station sur la ligne 5, ont égalé le record paralympique du 400 mètres et amélioré le record d’Europe avec un temps de 50’03. Le sprinter aveugle n’a pas de temps à perdre.