Réseaux sociaux : les dangers de la désinformation

Internet a modifié en profondeur les pratiques informationnelles. 62 % des Français s’informent aujourd’hui sur les plateformes en ligne. Mais à l’ère de Facebook, Instagram, X et TikTok, un risque prévaut : les fake news, ces fausses informations qui peuvent être produites et partagées en masse.

Jean-Michel Trogneux. Ce nom vous évoque quelque chose ?

Fin 2021, une fausse information affirmant que Brigitte Macron serait née homme se répand sur les réseaux sociaux. En quelques heures, la rumeur devient virale. Elle est partagée des centaines de milliers de fois et relayée par des sites d’extrême droite et de complotistes.

Loin d’être anecdotique, cette affaire illustre la manière dont les réseaux sociaux sont devenus un terreau fertile pour la propagation d’informations non vérifiées et de fake news. Une fake news se définit comme une information mensongère produite et diffusée de façon délibérée. Ce qui caractérise cette information fallacieuse, c’est la volonté de tromper, par le mensonge, en détournant une déclaration, une photo, une vidéo, un chiffre.

Si la manipulation de l’information a toujours existé, son impact s’est amplifié avec l’avènement de Facebook, YouTube, Instagram et X (ex-Twitter).

« Un certain nombre d’informations qui étaient autrefois marginales, confinées dans un milieu extrêmement restreint, et notamment les informations complotistes ou les rumeurs radicales, accèdent aujourd’hui à l’espace public beaucoup plus facilement. »

Rémy Rieffel, sociologue des médias.

 

Prime à l’émotionnel

Selon une étude menée en 2018 par le Massachusetts Institute of Technology, une information erronée se propage 6 fois plus vite qu’une information vérifiée et véridique. Un chiffre inquiétant qui s’explique par l’engagement émotionnel suscité. Les fake news ont tendance à être plus surprenantes et sensationnelles que la réalité. Et les réseaux sociaux jouent un rôle majeur dans la viralité de ces contenus.

En effet, les algorithmes ne sont pas neutres. Ils analysent nos comportements en ligne, nos interactions (likes, commentaires, partages) pour nous proposer des contenus ciblés. Ils sont conçus pour sélectionner et hiérarchiser les contenus susceptibles de capter l’attention d’un maximum d’utilisateurs. « Pour capter notre attention, ils vont jouer plus sur nos émotions, la colère, l’indignation. Essayer de nous amener à réagir », explique Thomas Huchon, journaliste d’investigation spécialisé dans les théories complotistes et les fausses informations, dans le podcast « Grand bien vous fasse ! » de France Inter. Mais « l’algorithme qui recommande des vidéos ne se pose pas la question de savoir s’il s’agit d’un truc vrai ou pas vrai », dénonçait en 2019 Guillaume Chaslot, ancien salarié de YouTube. Dopées par les algorithmes, les fake news foisonnent sur la Toile.

Réseaux sociaux : les dangers de la désinformation

Réseaux sociaux : les dangers de la désinformation

Polarisation des opinions

En classant l’information, les algorithmes enferment aussi les utilisateurs dans des bulles informationnelles. « Ils communiquent entre eux sans égard pour ceux qui pensent différemment. Il n’y a donc aucun dialogue, aucune confrontation d’idées mais une juxtaposition temporaire de groupes d’opinion parallèles et de bulles de croyances enfermées sur elles-mêmes », analyse l’historien François Géré.

Confortés dans leurs opinions, certains se trouvent dès lors particulièrement réceptifs à la désinformation. « Les fabricants et diffuseurs de fake news tentent de créer du doute pour fragiliser, voire détruire le processus de maturation de convictions bâti sur des faits », observe Arnaud Mercier, professeur en information-communication à l’Institut français de presse.

En d’autres termes, derrière les fausses nouvelles se cachent souvent des stratégies visant à manipuler l’opinion publique. Clichés et séquences vidéo sorties de leur contexte, émergence des deepfakes (hypertrucages) et d’images générées par intelligence artificielle (IA)…

Lors de grosses actualités, les réseaux sociaux deviennent le théâtre d’une augmentation massive de la désinformation. Ce fut le cas lors de la dernière campagne des législatives anticipées, avec la guerre en Ukraine et le conflit entre Israël et le Hamas. Une étude montre qu’entre octobre – début de la guerre dans la bande de Gaza – et novembre 2023, le volume de fake news a été multiplié par 34.

Cette désinformation exponentielle interroge notre rapport à la vérité.

Les fake news se développent dans un contexte marqué par une défiance croissante à l’égard des médias traditionnels. 57 % des Français estiment « qu’il faut se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité ». Un chiffre révélé par le 37e baromètre La Croix-Kantar Public sur la confiance des Français dans les médias. Remise en cause de l’indépendance des journalistes, flot de mauvaises nouvelles, répétition… 1 Français sur 2 déclare ressentir de la fatigue informationnelle au point de se sentir angoissé ou impuissant, et de perdre confiance dans les médias.

Les bons réflexes

Selon un rapport de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique publié en mars 2024, 1 Français sur 2 s’informe tous les jours sur les réseaux sociaux ou les plateformes de vidéos en ligne : YouTube et Facebook sont les plus plébiscités.

Si la création d’Internet a favorisé la transmission de la connaissance à travers le monde, son usage pose ici question. « Plus on multiplie les sources d’information, plus on multiplie aussi la possibilité d’être désinformé », souligne Thomas Huchon.

Alors comment s’informer à l’ère des réseaux sociaux ? Comment démêler le vrai du faux ?
En premier lieu, il faut vérifier l’auteur du message, la source. Cette information provient-elle d’un média connu, d’une personnalité publique ou d’un illustre inconnu ? Deuxième impératif : recouper le message en variant ses sources d’information. Si l’information est partagée par plusieurs médias fiables, elle a de bonne chance d’être avérée.

Une information isolée et non sourcée invite à la prudence. Face à cette avalanche de fausses nouvelles, les médias traditionnels ont développé des cellules de fact-checking, c’est-à-dire de vérification des faits. Le blog Les Décodeurs du Monde, la rubrique Désintox de Libération, notamment, traquent les infox et déjouent les rumeurs.

Julien Pain, rédacteur en chef de l’émission « Le Vrai du Faux » sur France Info, mène une bataille contre ce qu’il décrit comme un « tsunami » de désinformation : « C’est un problème de société qui est en train d’affaiblir notre démocratie. L’État doit s’en saisir ».

En France, une loi « anti-fake news » a été promulguée en 2018. Elle impose aux opérateurs de plateforme en ligne de prendre des mesures en vue de lutter contre la diffusion de fausses nouvelles susceptibles de troubler l’ordre public ou d’altérer la sincérité d’un scrutin électoral. Le gouvernement a aussi créé VIGINUM, une agence chargée de traquer la désinformation en période électorale.

Début 2022, la commission Bronner a remis son rapport sur la lutte contre la désinformation en ligne. Parmi ses préconisations : faire de l’éducation aux médias une grande cause nationale, responsabiliser les influenceurs, désactiver les algorithmes et ouvrir les données des plateformes aux chercheurs. Pour le sociologue Dominique Cardon, il faut « obliger les plateformes à être beaucoup plus transparentes sur ces sujets, essayer de les aider à déconnecter le modèle économique et la circulation virale des informations, et puis que les populations, les individus soient plus réflexifs sur leurs propres pratiques numériques. »

L’avis de Michaël Stora

Les réseaux sociaux reposent sur l’économie de l’attention. Ils ont mis en place des astuces pour nous accrocher le plus longtemps possible : les fameux algorithmes. Je les appelle les “algorithmes doudous”, car ils proposent sans cesse à l’utilisateur des contenus qui correspondent à ses attentes, au risque de l’enfermer dans des bulles informationnelles. Pour éviter les propos haineux sur Facebook puis sur Instagram, Mark Zuckerberg a pris la décision de suggérer des « amis » qui ont à peu près les mêmes pensées que vous. Cela interroge la capacité de chacun à supporter la différence. Avec l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, le rapport au savoir et aux sachants a été modifié. Parmi les références, il y a des désormais les influenceurs, ces autres semblables qui cultivent une sorte de proximité avec leurs abonnés.

Ces influenceurs peuvent avoir recours à des discours émotionnels qui vont toucher d’autant plus les jeunes, en quête de réponses et qui veulent pouvoir nommer les choses. C’est ainsi que certains tombent dans des thèses conspirationnistes. Dans le pire des cas, il existe des communautés qui entretiennent des discours haineux. Depuis son rachat, Twitter est devenu un espace d’affrontement. Elon Musk ne cache pas ses idées suprémacistes. Il a même annoncé officiellement que son réseau allait soutenir Donald Trump. Il va donc favoriser des informations en ce sens au nom d’une pseudo-liberté d’expression.

La liberté n’existe que parce qu’il y a un cadre et des limites. Aujourd’hui, il n’y a aucun mur et c’est le cœur du problème. Si la modération de contenus a été créée pour réguler ces derniers, les investissements sont encore trop faibles en la matière.

À l’ère des réseaux sociaux, les parents doivent communiquer avec leurs enfants. Quand les enfants regardent une vidéo, il ne faut pas hésiter à les pousser à la montrer, à la partager avec vous afin d’engager le dialogue. Il faut faire des écrans des alliés dans la dynamique familiale et faire appel à la part adulte de nos adolescents. »

Michaël Stora – Psychologue et psychanalyste expert des addictions et du numérique.
Fondateur de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines.

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